Zorglub le Grand, avait décidé de sévir dans cette cité basque, Donostià , villégiature pour nouveaux riches désoeuvrés, aristocrates sans fortune, suceurs de glaces fuyant l’ennui, roteurs de bière sous la tente, ou mélomanes en quête mystique de cet unique marathon Zornien, freerock, punkjazz, metalkletzmer, hardcore hystérique, course baroque sauvage, métaphysique et flamboyante.
Dans cette Donostià, telle sa sœur Biarritz, si éloignées de cette identité culturelle irréductible, revendiquée par les guerriers d’Iparetarak, tirant autant leurs forces du magma terrestre et des rayons cosmiques des étoiles, que des voix millénaires de leurs ancêtres qui traversent le cordes vocales de Benat Achiary, vibrant dans l’air comme le vent des montagnes pyrénéennes, Zorn, y célébrait sa monumentale cérémonie, dirigeant successivement ses 32 musiciens pour interpréter ses prophétiques visions musicales, tel un Marsupilami bondissant, cinq heures durant, dans cet immense amphithéâtre du Kursaal, devant plus d’un millier de Zorglubphiles hypnotisés.
Décollage vertical avec Acoustic Masada, quartet colemanien, propulsé rythmiquement par Greg Cohen et Joey Baron, qui mettent en orbite Dave Douglas et John Zorn, qui chassent et croisent l’exposition des thèmes et des solos virevoltants, trompette et saxophone, stridents, haletants, laissant les auditeurs médusés, à l’écoute de cette beauté sauvage,
Apaisement, avec deux amants virtuoses qui communient au piano et violon, sonates contemporaines, qui mêlent le tonal et l’atonal, l’écriture et l’improvisation, le son et la puissance extraordinaire des instruments acoustique, de ces deux amoureux de la musique Zornienne, brillantissimes Sylvie Courvoisier et Mark Feldman,
Déferlement du Banquet of the Spirits, énorme choc du son de ces quatre fous furieux qui embrasent l’air dès les premières notes, portés par la profusion rythmique de Cyro Baptista et Tim Keiper, transcendés par les basses et l’oud électrique de Shanir Ezra Blumenkrantz, dynamité par les claviers d’un Zébulon frénétique, Brian Marsella, fulgurances kobaïennes, sons inouïs jamais entendu d’une basse électrique, puissance phénoménale, Baptista harangue, le festin est somptueux, trou normand indispensable pour poursuivre le banquet de cette orgie sonore,
A capella, comme un dessert pour reposer les milliers d’oreilles ivres, espérento universel, Mycale et ses quatre muses, chantent, vocalisent, bruitent, chuchotent, susurrent, dans les langues des cinq continents, magiques, mystérieuses, poétiques, envoûtantes,
Puis les cordes de Feldman, Cohen et Friedlander vibrent, tourbillonnent sur les thèmes de Barkobah, Zorn dirige et sculpte le son à mains nues, Baptista foisonne, souffle, percute, encore, Baron pulse, forge, caresse , Ribot arc bouté sur sa chaise tel un guitariste flamenco en transe porté par cette tornade acoustique, électrise sa guitare de solos incandescents, saturés, relancé par ceux étourdissants du trio de cordes, tornade, pour repartir de plus belle et nous laisser à bout de souffle, pantelants,
Krakauer lance sa folie Kletzmer, machine infernale, mariage de la carpe et du lapin, clarinette boisée hystérique, guitare rock d’un métal en fusion et de fluides accords jazz en arpèges de Sheryl Bailey, tourbillons thématiques, spirales ascendantes, tournoyantes, virevoltantes, rythmes des folklores d’Europe centrale, ivresse sonore hypnotique, derviches tourneurs, éclairs de zébrures électroniques de Jeremy Flower, transportés et emportés par l’osmose rythmique de la basse de Jerome Harris et la batterie de Michael Sarin,
Indescriptible claque, Secrets Chiefs 3, nouveau choc inventif des guitares de Trey Spruance et Gyan Riley, fauves et rugissantes d’unissons nucléaires , violon orgasmique de Tumba Harris, batterie rock plombé avec Ches Smith qui explose en binaire éclaté de polyrythmies free jazz, Toby Driver, basse vrombissante d’un réacteur aux millions de chevaux, énergie cataclysmique, pilonnage , champs de bataille dévasté, tout est rasé, il ne reste plus rien, tout a été détruit pour reconstruire un nouveau monde musical, fabuleux !
L’archet secoue les cordes du violoncelle électrifié, fantômes de Bach, Cazals, Ligetti, Kurtag, Bartok, Cora, Zorn, ils sont tous là sous les doigts virtuoses d’Erik Friedlander, beauté, émotion, ovation,
The Dreamers, nouvel apaisement de Zorn qui peint des couleurs pastels avec ses rêveurs, Wollesen caresse son vibraphone, Ribot vrille et distortionne en douceur, Shaft effleure son clavier, Baron, Dunn et Baptista balancent en souplesse comme une rythmique californienne,
Le maître dirige le Masada string trio, accroupi au sol devant Feldman, Friedlander et Cohen, prière pour des thèmes aux parfums orientaux, contrechamps de cordes joués à l’archet ou en pizzicato, superposition de nappes sonores du violon et du violoncelle soutenu par la contrebasse, ossature rythmique, puis stridences et dissonances, à nouveau ritournelles enivrantes , paysages slaves, visions tziganes, magyares,
Dommage ensuite, Uri Caine, au piano, seul, bien seul, trop seul, ennuyeux,
Ultime Electric Masada, gigantesque apothéose, final engagé, puissance sonore extrême, raz de marée qui dévaste les tympans, thèmes éruptifs, telluriques, exceptionnel Ribot, toujours et encore, Zorn catalyseur, Dunn tel Entwistle, Shaft inspiré, Wollesen et Baron survoltés, Baptista en transe, sublime catharsis, cinq heures déjà, le marathon est hélas terminé, seuls manquaient le quatuor Arditti et Mike Patton, mais bientôt, à Paris, la suite…
Christian POUGET