Matthew Shipp en trois albums

« The Piano Equation »

Matthew Shipp

Tao Forms / Orkhêstra

Ce piano intranquille, Matthew Shipp le côtoie depuis longtemps. Nous l’avons découvert il y a une trentaine d’années. Matthew était déjà leader (Prism), Matthew était déjà adepte du solo absolu (Symbol System). Matthew était déjà ce pianiste dont on cherchait en vain les maîtres : Cecil Taylor affirmaient les cossards d’esprit, Duke écrivaient de plus fines plumes. Shipp était Shipp, ce pianiste dont on tentait de percer les secrets.

A nouveau en solo absolu et sans aucune concession, le voici agile et sec comme la roche, écorchant l’harmonie, bannissant la dissonance mais ne faisant jamais tout à fait ami-ami avec la consonance. Expert en dynamiques survoltées, jamais en démonstration mais toujours en recherche, libre d’espacer ou d’enserrer, le pianiste poursuit une ligne qu’il choisit de briser ou de décortiquer, de réduire ou d’épaissir. Il aime aussi à inviter l’inquiétude autant que la tendre résonnance. Et pourquoi pas : superposer le tout. Un homme libre finalement que ce Matthew Shipp.


«The Unidentifiable»

Matthew Shipp Trio

ESP / Orchestra

Homme d’architecture et de fondations (son amour des mathématiques n’est plus à prouver), Matthew Shipp fait du trio un idéal terrain de jeu. Qu’il s’agisse du banal exercice thème-improvisation-thème ou dans le cadre d’une libre improvisation  (tension-détente), il y aura toujours, ici et là, quelques ruptures de ton. Ruptures que vont devoir accompagner ou prolonger contrebassiste et batteur. Parfois spontanés ou demandés, ces moments forts agissent comme des résurgences de pièces antérieures. Comme un troublant déjà-vu.

Ici, rien ne se joue dans la solitude, chacun s’adossant à l’autre, sans jamais le copier et respectant toujours sa position. Michael Bisio se fera minimal quand Shipp s’impliquera entre espaces et économie tandis que Newman Taylor Baker accordera son jeu luxuriant à celui d’un pianiste devenu subitement loquace.

Cette architecture, somme toute bien pensée et évaluée, n’est en rien un frein à l’élan vital d’une musique portée avec diversité, foi et conviction. Témoin New Heaven & New Earth, plage clôturant ce disque et où se libèrent frontalement de colossales énergies.


« Cool With That« 

EAST AXIS

ESP / Orchestra

Existant depuis 2017, East Axis (Matthew Shipp, Allen Lowe, Gerald Cleaver, Kevin Ray) enregistre son premier CD le 9 août 2020. Quartet destiné à la libre improvisation, la nouvelle formation du pianiste emprunte et explore une multitude d’univers.

Une angoisse mémorise l’étrange sur de hautes sphères avant de s’éclabousser en volutes de ténor effrénées (A Side). Le free jazz des origines, celui qui galope loin et fort (et surtout collectif) sera la piste suivie pour Oh Hell I Forgot About That. Brodant l’espace sans jamais éclaircir son centre, le saxophone ose l’errance, le hors cadre et obscurcit cette ballade (comment la nommer autrement ?) d’un halo brumeux et épais (Social Distance). Quelque chose entre blues et be-bop enserre I’m Coll with That, quelque chose qui assume le continuum de l’histoire et resserre les liens entre passé, présent et futur. Autre version du free jazz avec One, intense improvisation où les cassures-brisures demeurent des possibles sans cesse remis en jeu.

Soit trois enregistrements pour trois facettes de l’ami Shipp. D’autres nous attendent déjà.

Luc BOUQUET

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