Fifteen Resonances

Mathieu Robert

Mathieu Robert (ss, bols chantants, shruti box)

Homerecords / Bandcamp

Date de sortie: 01/04/2024

La résonance met en jeu un corps qui sonne, un espace où se propage le son, un sujet qui reçoit les vibrations émises, mais aussi la manière dont il en est affecté. Ce qui résonne sonne autrement : re-sonne. Au terme de ces Quinze résonances, qui n’ont aucunement valeur d’études ni ne se présentent comme un catalogue d’effets pas plus que de « recherches » ou d’« expérimentations », ce schéma se trouvera profondément modifié du fait d’une approche qui, sans les nier, aura ramené les éléments constitutifs de la musique à leur plus simple expression. Sans les éliminer au profit d’un travail sur le « son », sans les exploiter dans une équipée virtuose, ils sont présents à l’état, pourrait-on dire, élémentaire : la note est son, le son est note. Deux notes font un intervalle, trois une mélodie, qui peut s’étendre, couler, ou se replier, se répéter. De même, par une prise de son remarquable, le corps et l’instrument sont indissociables, sans prééminence de l’un ni effacement de l’autre : une note est un son. Le soprano – en si bémol ou en ut – la plupart du temps seul, mais parfois accouplé à son double, auréolé des ondes immatérielles de bols chantants ou ombré par une shruti box, est embouché ; le souffle y passe, expiré, coloré, y prend forme de note, laquelle prend sens, en elle-même, par son modelé, ou embarque sur un damier poétique, une marelle. Chacune de ces pièces, relativement courtes, invente un espace. Par leur simplicité, leur lisibilité immédiate, elles répudient d’emblée toute approche savante, nous revoient immédiatement à notre écoute. La résonnance invoquée ne nous est donc plus extérieure : c’est en nous que cela résonne.

En se présentant en son plus simple appareil, la musique agit comme un charme et nous dépouille subrepticement de nos encombrantes déterminations pour mettre à nu notre pure présence au monde.Nous nous découvrons alors à notre tour, comme pur espace. Espace d’accueil, délivré de tout autre rapport à ce qui se présente, notes, simple intervalle, mélodie lustrale et leur propagation, écoulement, pulsation lente, ondulation, rayonnement. Alors, tout se transforme, et l’instrument lui-même, ce soprano qui sans cesser d’être soi laisse affleurer ce qui tient en lui du shakuhachi, de la harpe éolienne ou des launeddas, comme les horizons qu’ils font lever avec eux. On se trouvera aussi bien assis sur la rive du temps qui passe, impassible, qu’assistant à la séparation de la terre et du ciel aux premières lueurs d’une aube qui s’annonce : présence à la présence.

Peut-être est-ce là le lieu pour évoquer une présence d’un autre type, qui hante ces plages sans nullement s’imposer – on pense à ces anges souriants et pensifs du ciel au-dessus de Berlin1. Dans cette constante fraîcheur, cette calme assurance qui allège autant qu’elle porte, ces sereines répétitions, ces échelles, ces permutations, c’est Steve Lacy assurément, penché sur l’épaule de Mathieu Robert. Pour autant point mimé, au contraire, assimilé, incorporé, fait sien et par là même transfiguré2. On retrouvera son bestiaire (Owl), et même son père spirituel, Monk, en filigrane dansun Miniature qui n’est pas sans évoquer Misterioso.

Présences, qui résonnent d’autant mieux dans cet espace désencombré. Au point que, dans la quatorzième pièce, Golden seed, se glisse sous les entêtantes vibrations des bols chantants l’imperceptible rumeur du monde. Alors, quand, en une sorte de post-scriptum, le musicien reparaît pour finir, nous l’avions presque oublié. Disparu dans la musique, et nous avec, pure résonance.

Philippe Alen

1Der Himmel über Berlin, c’est le titre original du film de Wim Wenders, Les ailes du désir.

2Time to prepare, Kuse, par exemple.

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