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Les fleurs de Lotus 

Quel séisme jeudi soir dernier 6 juin à l’écoute du nouveau trio du pianiste Bruno Angelini et quelle musique captivante ! Le pianiste est un habitué de l’AJMI d’Avignon et fait partie de mes pianistes préférés pour son jeu subtil et son inventivité plurielle. Pour son dernier trio nommé Lotus Flowers, il a fait appel à deux saxophonistes et non des moindres : Sakina Abdou au ténor et Angelika Niescier à l’alto qui m’ont fortement impressionnée. La première, lilloise, est un grand nom du saxophone à travers ses collaborations dans de grands ensembles de jazz, mais aussi des formations plus réduites ou duos et même dernièrement un très beau disque solo “Good Bye Ground” sur le label étasunien Relative Pitch. La seconde, polonaise vivant aujourd’hui à Cologne, est également chef d’orchestre et compositrice, demandée de partout et collaborant avec tous les grands noms du jazz. Donc, autant vous dire que jeudi soir, c’était du caviar pour les oreilles ! 

A l’origine du nom de ce trio, le grand amour du pianiste pour Wayne Shorter disparu l’an dernier, qui avait un jour sur une émission d’Arte, parlé du symbole de lumière que représentent les fleurs de lotus s’épanouissant et éclairant de leur lumière la boue des marais dans laquelle elles s’ouvrent. Ce qui a influencé Bruno Angelini qui dédie chaque morceau à des personnalités éclairantes et inspirantes dans notre époque bien sombre. Le concert compose donc une sorte de panthéon à la mémoire ce ces phares dans la nuit tels des artistes ou de grandes personnalités. La première composition toute en douceur, Elévation est dédiée à Wayne Shorter, la seconde L’Essence étant composée à partir d’une poésie de Paul Eluard. Déjà une grande secousse dès le départ en entendant cette conversation tripartite entre les musiciens, et particulièrement celle des saxophones virevoltant comme deux ois(elles)aux bavard(e)s aux plumes multicolores. Suit un cycle de trois morceaux, le premier dédié à Rosa Parks, Rosa and the Thorns (entendu dans “Transatlantic Roots” du pianiste avec le trompettiste Fabrice Martinez et le batteur Eric Echampard et métamorphosé par l’introduction incroyable de Sakina Abdou), le second rendant un hommage très émouvant et doux à la militante écologiste hondurienne Berta Cáceres, et le troisième dédié aux Madres de la Plaza de Mayo en Argentine. Autant dire un tableau rendant honneur au sacrifice de toutes ces femmes, illustré superbement par les saxophones transmettant les déchirures, les larmes et les voix écorchées de ces martyres, en particulier dans le troisième à l’intensité rare qui m’a bouleversée. Les deux saxophonistes prennent la parole chacune leur tour, dans un silence religieux, accompagnées par le jeu souple et poétique du pianiste accordant un peu de douceur dans ce monde dur, avant de se recroiser dans des moments poignants qui prennent les tripes. Le trio poursuit avec Race for The Earth pour Bert Bolin, cofondateur du GIEC et pour la kenyane Wangari Maathai, la première femme africaine lauréate du prix Nobel de la paix en 2004, appelée aussi la Maman des Arbres, avant d’illustrer un livre de Colum McCann nommé Apeirogon retraçant le combat de deux pères ayant perdu leur fille dans le combat israélo-palestinien, unissant leur force pour la paix (Attention, frissons garantis…). Le concert se termine avec Hull House dédicacé à Jane  Addams ayant eu le premier Prix Nobel de la Paix en 1931, en référence à son centre d’oeuvres sociales, avant un ultime rappel avec L’Art de la Paix en hommage à Nelson Mandela, point d’orgue des lumières. 


Ah quelle belle découverte en ce qui me concerne que ces deux saxophonistes ! Et de surcroît en duo augmentant le plaisir ressenti ! Sakina Abdou, une puissance étonnante au ténor et Angelika au tempérament de feu et au grand rire explosif, si sympathiques et abordables toutes deux ! Alors, oui, j’assume ce long compte-rendu avec beaucoup de points d’exclamations, mais impossible de faire passer autrement mon enthousiasme. Doublé de révélations en ce qui concerne quelques personnes illustrées que je ne connaissais pas. 

Le lendemain le trio jouait au festival Jazzdor de Berlin, le 8 à L’Osons Jazz Club de Lurs et enregistrait au studio de La Buissonne ce lundi 10 pour une sortie de disque prévue en début d’année prochaine sur le Label Abalone. On leur souhaite tout le bonheur du monde pour les lumières transmises qu’il nous incombe de propager ! Merci à Bruno Angelini et merci à Nicolas Baillard pour le son parfait. 

Florence DUCOMMUN, texte et photos

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