Les vingt ans d’existence du Festival des Vents de Morières – Folard Jazz
Un bel anniversaire a été fêté durant trois jours à l’Espace Folard de Morières lès Avignon : Le Festival des Vents est peu connu certes, mais gagne à l’être! Présidé par Philippe Renaud épaulé de très nombreux bénévoles tous passionnés et soutenu depuis le début par la municipalité, il se tient chaque année pendant 3 soirs à cette époque avec toujours une très belle affiche.
Ainsi ce vendredi 27 août, c’est le quintet du trompettiste toulonnais José Caparros, accompagné de Michael Cheret au saxophone, Fred Drai au piano, Thierry Larosa à la batterie et Jean-Marie Carniel à la contrebasse, qui a ouvert les festivités. Le mistral s’était invité sans qu’on lui demande (normal pour un festival des Vents!) et c’est dans le centre Folard que les musiciens nous ont régalés avec leur dernière création « A Walk in Love » ouvrant par le titre éponyme, ode à l’amour des gens, des animaux et lieux aimés qui s’est décliné en compositions tantôt malicieuses (Ah le Chat Bada !) tantôt douces et mélancoliques (Brooklyn Bridge ou Song for RC). Un plaisir manifeste de marcher dans la joie et l’amour qui a enchanté le public bien présent malgré toutes les contraintes !
Seconde partie de soirée avec le Legacy Jazz 6tet du trompettiste américain Joe Magnarelli. Excusez du peu ! Un maître en la matière depuis trente ans sur la scène new-yorkaise, accompagné des non moins réputés Don Braden au saxophone ténor et flûte, Rik van den Bergh au saxophone baryton, Fabien Marcoz à la contrebasse, Olivier Hutman au piano et Bernd Reiter à la batterie. Bref, un sextet international all-stars qui nous a joué un jazz dans le plus pur style hard-bop sur un répertoire de standards ou compositions dans la tradition de leurs idoles et mentors tels que Thad Jones, Cedar Walton ou Kenny Dorham. Du caviar pour les oreilles apprécié à sa juste valeur dans un concert de près de 2heures puisque le saxophoniste Michael Cheret et le trompettiste José Caparros les ont ensuite rejoints pour jouer jusqu’à plus soif !!!
La fête continue samedi 28 août, avec un mistral de plus en plus fou et deux concerts de folie également ! En première partie, voici le quartet du pianiste Pierre Christophe accompagné de Sébastien Girardot à la contrebasse, Laurent Bataille aux congas et Stan Laferrière à la batterie. Les quatre musiciens célèbrent les cent ans de la naissance du pianiste Erroll Garner cette année en nous jouant le disque « Tribute to Erroll Garner » enregistré en live en 2013 et sorti en 2017. Pianiste parti trop vite à l’âge de 56 ans en 1977, au style unique inspirant tant de pianistes par son éclectisme, son héritier le plus proche est sans doute Ahmad Jamal. Et Pierre Christophe nous emmène au travers de compositions aux styles variés où ça swingue, ça bope, ça bouge comme Mambo Nights faisant le lien avec la musique cubaine, Passing Through, ou Play Piano Play ou plus mélancoliques comme le célèbre Misty. Il nous balade avec Crème de Menthe ou Dreamy ou fait la jonction avec l’ambiance gospel de Like it is où Laurent Bataille s’empare du tambourin. Erroll Garner arrangera aussi Tea for Two qu’il n’avait pas composé, mais qui est connu au travers de La Grande Vadrouille et est sans doute le standard de jazz le plus joué, dont il a fait une version très originale et personnelle mettant en avant les percussionnistes. Il a même arrangé Spinning Wheel (composé par le célèbre groupe Blood Sweat&Tears) dans les années 70. C’est dire sa modernité. Une Nervous Waltz puis un rappel avec Mood Island conflueront ce concert brillant et plein de bonheur!
En seconde partie, rentre en scène le quartet du contrebassiste cubain Felipe Cabrera accompagné du pianiste Leonardo Montana, du batteur Lukmil Perez Herrera et du saxophoniste Rafael Aguila Arteaga. Un vrai régal que d’écouter ce quartet de très haute qualité !!! Ils nous ont joué « Mirror« , le quatrième album du contrebassiste sorti en 2019, en un seul jet, introduit et terminé avec la voix off du musicien, une grande fresque de son histoire personnelle et de celle de son pays, en particulier avec un Lament poignant relatif aux esclaves. L’écriture musicale est exigeante avec des musiciens extraordinaires (le batteur et le pianiste jouent très souvent et j’avais déjà eu la joie de les apprécier sur d’autres scènes) mais quelle belle découverte avec le contrebassiste et le saxophoniste !!! Quelques airs de rumba sont là certes, mais c’est formidablement ancré dans la tradition jazzistique. Beaucoup, beaucoup d’émotion à les entendre.
« Esprit de Miles, es-tu là? » aurait-on pu dire le troisième soir du Festival des Vents toujours secoué par le mistral et qui se termine en feu d’artifice ! En première partie, une magnifique prestation du pianiste Jerry Léonide en solo. Originaire de l’île Maurice et arrivé en France à 17 ans, sa carrière décolle en 2014 quand il remporte le concours de piano solo de Montreux Jazz festival. Le pianiste revisite ce soir des thèmes de M Davis, inspiré par le passage en seconde partie du trompettiste Nicolas Folmer. Thèmes reconnaissables pour la plupart, mais avec un phrasé irrésistible et très subtil ! Nardis, Solar, un étonnant Someday My Prince will come, Four, un All Blues (du si connu Kind of Blue) dont la partie piano est capitale; et enfin Donna Lee, pour une fois vraiment composé par Miles, qui était plutôt du genre pique-assiette et de tous les courants musicaux. Une très belle mise en bouche pour la seconde partie de la soirée avec un pianiste à suivre très attentivement !!!
Suit la dernière création du trompettiste Nicolas Folmer avec son « So Miles » sorti en mars 2019. Oui, Miles est vraiment venu dimanche soir 29 août avec les vents ! Il devait en être le chef d’orchestre dirigeant de là-haut, non seulement Nicolas Folmer mais également Jerry Léonide aux claviers, Yoann Serra à la batterie, Olivier Louvel à la guitare et Julien Herné à la basse. En filigrane de ce disque, comment Miles aurait relu ses œuvres en 2019 avec les influences actuelles et quelles musiques l’auraient inspiré ? Un mystique So What ouvre le bal, suivi d’Around Pinocchio, sur un thème de Wayne Shorter joué en miroir ! Autre thème de W.Shorter, Footprints, suivi de deux balades en une seule, Blue in Green/Nefertiti (Bill Evans/ W.Shorter). Miles « piquait » les morceaux de ses contemporains et les digérait à sa sauce, mais quelle sauce ! Son What it is, morceau de bric et de broc, recollé par son producteur Teo Macero inspire Olivier Folmer dans What’s Happen, lui aussi écrit avec diverses expériences. La composition Miles from the Sky est un clin d’œil à l’album Miles In The Sky. Qu’aurait écouté Miles actuellement, lui qui était un fan de Kassav ? Sans doute Get Lucky du duo Daft Punk qui devient un morceau ensorcelant entre les mains de Nicolas Folmer où tous les musiciens prennent un pied incroyable et nous avec ! Jerry Léonide remplace avec brio Laurent Coulondre ! Yoann Serra est toujours le batteur infernal que je connais, Olivier Louvel est fascinant également et de voir ses duos avec Nicolas Folmer est totalement jouissif ! Et plutôt que de conclure avec Human Nature qui nous aurait achevés assure le trompettiste, le concert se termine en douceur et redescente difficile sur terre avec un Stella by Starlight… l’achat du disque préfacé par René Urtreger et Marcus Miller (tous deux ayant joué avec Miles) me console un peu et je sens que Miles va revenir souvent me hanter à nouveau …
Texte et photos, Florence Ducommun