L’éclipse de YOUN

Depuis plusieurs années on était habitué à voir régulièrement le nom de Youn Sun Nah apparaitre dans la rubrique des concerts et dans les programmes des festivals. Ce ne sera pas le cas cet été ni la saison prochaine, la chanteuse ayant décidé de faire un long break avant de revenir sur scène, vraisemblablement à l’été 2016. Youn aura fait son dernier concert de la saison à Rennes le 30 mars dernier, quelques jours après un triomphe dans un Théâtre du Châtelet plein comme un œuf. Avant de prendre l’avion pour la Corée, elle s’est vue remettre un Disque d’Or pour les 50000 exemplaires vendus de « Lento », comme ce fut le cas deux ans plus tôt avec « Same Girl ». Fait rarissime dans le petit monde français du jazz.

Étonnant parcours que celui de cette jeune coréenne qui débarqua à Paris il y a vingt ans pour perfectionner son chant et s’initier au jazz. Elle avait déjà 25 ans et ne pensait pas alors devenir professionnelle un jour. Mais des dons exceptionnels alliés à beaucoup de travail et à une grande capacité à apprendre la poussèrent vite au sein d’un quintet avec lequel elle fit deux disques avant de retourner une première fois dans son pays natal. Il fallut la rencontre avec le guitariste Ulf Wakenius lors d’un de ses concerts à Séoul pour la remettre en selle et qu’elle reprenne le chemin d’une Europe où elle ne pensait plus revenir. Un premier disque pour le label allemand ACT et quelques tournées en duo avec le guitariste suédois suffirent à la mettre sur la trajectoire d’un succès qui alla en s’amplifiant avec les enregistrements suivants.

C’est avec l’arrivée de Vincent Peirani et de Simon Tailleu que la jolie coréenne eut un orchestre à la mesure de son talent. Les couleurs apportées par l’accordéon du premier et la base rythmique donnée par la contrebasse du second enrichirent la palette du duo jusqu’à former, ces derniers temps, un véritable orchestre plus qu’un trio accompagnant une chanteuse. Le paradoxe étant que le quartet sonnait plus jazz que jamais grâce à l’improvisation et aux échanges instrumentaux alors qu’il n’y avait plus aucun thème de jazz au répertoire. Une sorte de quadrature du cercle dont seuls les grands artistes ont le secret. Qu’il s’agisse de tessiture, de timbres, de virtuosité ou de capacité à improviser dans une sorte de scat younesque où sa gestuelle montre combien la musique l’habite, les facettes du talent de Youn Sun Nah sont si nombreuses qu’elle réussit chaque fois à hypnotiser son public, pouvant mélanger une douceur immense à une folie parfois presque furieuse, comme si la scène impliquait à chaque fois la transcendance. Osmose d’une technique hors norme et de cette sensibilité exacerbée qui lui faisait parfois terminer ses concerts en larmes quand elle chantait Avec le temps.

Sa voix et son sourire vont nous manquer pendant des mois mais parions que son retour ne se fera pas sans bagages. See Youn soon !

Philippe VINCENT  

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