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Hubbub

Jean-Luc Guionnet (as), Bertrand Denzler (ts), Jean-Sébastien Mariage (elg), Fred Blondy (p), Edward Perraud (dms, perc)

Relative Pitch RPR 1191 / dist. Bandcamp

Date de sortie: 02/08/2024

Cinq disques en 25 ans pour un ensemble inchangé depuis sa formation, tous unanimement accueillis comme d’exceptionnelles réussites dans un registre qui exclut les performances individuelles, cela suffit à saluer comme il se doit la parution d’un nouvel enregistrement de Hubbub.

Revenir sur les cinq personnalités qui composent Hubbub n’éclaire en rien la musique de ce groupe singulier : toutes sont engagées par ailleurs dans des multiples projets qui ressortissent aussi bien au jazz, au free jazz, à l’improvisation libre, au rock, à la noise qu’à la composition ou à des expressions conceptuelles et multidisciplinaires. Sans compter leurs hybridations possibles. Hubbub n’est rien de tout cela, ni un croisement ni une somme. Tout au plus peut-on dire que la pleine possession des « techniques étendues » par chacun de ses membres a puissamment contribué à « déterritorialiser » leur pratique collective et ce qu’il en résulte : l’évolution profondément organique d’une musique qui fonctionne immédiatement comme un tout se réorganisant en permanence, selon la loi interne d’une reformulation continue, en considérant la durée comme son seul moteur. En cela, on peut tout de même désigner Hubbub comme un héritier d’AMM. Ce qu’Eddie Prévost a implicitement reconnu par trois publication sur son label Matchless1 et en les invitant à la journée qu’il programmait au sein du festival Freedom of the City de Londres en 2003.

Des deux pièces, enregistrées en 2019 à l’église Saint-Merry de Paris, la première d’une durée avoisinant les 40 minutes répond aux caractéristiques générales énoncées plus haut. Une masse évolue insensiblement de l’intérieur par la transformation d’une multitudes de détails auxquels il importe peu d’assigner une source. On peut néanmoins discerner une surface étale, rayée, griffée, raturée, un courant porteur et une sourde scansion, profonde, espacée, irrégulière, un pouls nocturne et tellurique. Pourtant, du sein de cette rumeur (hubbub) paradoxalement composée de saillies hétéroclites, émergent à certain instant deux notes de piano. Deux notes pas davantage, mais claires, distinctement énoncées, sans suite mais, chose étrange, glissées là comme une lettre volée. En rien ironiques, pas plus provocatrices, elles figurent à cette place un élément du monde sonore, au même titre que ces autres fragments, fétus, brindilles, épines, échardes, esquilles arrachés, extorqués, subtilisés à tous ces corps sonores « constitués » que sont guitare, piano et saxophones et fûts ni prolongés, ni retraités. A peine le piano est-il préparé, et ce sont clou, crins brosses… Or, justement, ces deux notes surgissent là nues. Plus loin, ce seront de même les cordes de la guitare qui résonneront, comme une cristalline exception. Et l’on se surprend à reconnaître qu’ à la contrebasse près, cet ensemble pourrait être un quintet « de jazz », et que sur la pente de cette pensée incongrue, l’on pourrait entendre cette musique organisée selon d’ancestraux principes : sur un soubassement des instruments « harmoniques » assurant certaine linéarité, les saxophones figurent les « dessus », créant l’« événement », tandis que les percussions prennent en charge par leur scansion la progression du « drame ». Que cela ronfle et vrombisse, claque ou susurre, vrille, gronde sourdement, chuinte ou luise ; que l’espace s’ouvre à l’infini ou s’anime d’un grouillement infinitésimal, cosmos en expansion ou cellule refermée sur son noyau, cette absence d’échelle invite à « reterritorialiser » par notre écoute cet organisme filamenteux, ce blob magnifique et troublant.

Philippe Alen

1Hoop whoop (Matchless MRCD53, 2003), Hoib (Matchless MRCD60, 2004), Whobub (MRCD80, 2011).

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