RENCONTRES MUSICALES ARCHIPELS
Prieuré de Saint-Léger la Pallu
Stages et ateliers : 17 / 19 juillet – Concerts : 19 et 20 juillet
Perdu au cœur des vignes non loin de Poitiers, le Prieuré du Xle siècle est un bel écrin pour présenter les projets de Dominique Pifarély et ceux des compagnons de route. Des histoires d’amitié, de fidélité, des regards croisés, des écoutes attentives. De la transmission aussi, à travers les stages (travail d’ensemble Louis Sclavis / impro solo Dominique Pifarély / écriture François Bon). Les concerts sont gratuits et dans le public se croisent musiciens, voisins venus en curieux et amoureux fervents de la galaxie Pifarély.
Vendredi 19
On sait l’importance des mots pour Dominique Pifarély : la première journée des Rencontres s’est construite au fil d’une certaine littérature américaine.
Au fil du rasoir, avec cette plongée dans les rêves brisés et les désarrois de l’Amérique désenchantée de Russell Banks – magnifique lecture de Juliette Kapla, Julia Robin complice à la contrebasse.
Juliette Kapla, voix & Julia Robin, contrebasse
Autre versant noir du rêve américain, le fantastique de H. P. Lovecraft. François Bon a déniché une nouvelle dont le héros est violoniste, La Musique d’Eric Zann. Démons et merveilles, le duo François Bon / Dominique Pifarély bascule dans un univers parallèle, le violon s’envole. Frisson garanti.
François Bon, voix & Dominique Pifarély, violon
La troisième rencontre se fera autour d’une évocation de Jack London : LOVE OF LIFE, soit Vincent Courtois, Daniel Erdmann et Robin Fincker. Est-ce l’effet du JACK LONDON TOUR qui vient de s’achever, menant le trio de New York à San Francisco, sur les pas de Jack London ? Ils ont joué au ranch Glen Ellen, près de sa tombe, ils viennent tout juste d’enregistrer à Oackland. Et Vincent Courtois, Daniel Erdmann et Robin Fincker jouent une musique intense, sensuelle. Résonance profonde des graves dans l’église du Prieuré. L’évidence d’avoir vécu un de ces concerts qui comptent dans une vie.
Vincent Courtois, violoncelle / Daniel Erdmann et Robin Fincker, saxophones
Samedi 20
« La production indépendante peut-elle casser des briques ? »
François Bon, François Corneloup et Jean Rochard animent le débat qui ouvre la seconde journée. Dans le public Louis Sclavis, Sylvaine Hélary, Antonin Rayon ont leur mot à dire. Les positions sont tranchées. Pour François Bon, adepte de la dématérialisation, l’objet disque n’est plus qu’une présence amicale venue du passé. Objet obsolète. François Bon ne possède plus de lecteur cd mais dans sa bibliothèque Noir Lumière de François Corneloup est soigneusement rangé à côté des œuvres d’Henri Michaux. Jean Rochard nous rappelle à la triste réalité marchande : 40 écoutes Spotify rapportent 1 centime. Louis Sclavis reste attaché à l’objet disque pour la cohérence de l’histoire qu’il raconte. L’écoute atomisée du téléchargement est une perte de sens, le titre est coupé de l’ensemble voulu par le musicien. Le mot de la fin reviendra à Louis : « Le jazz n’existe que par les indépendants. » Merci les Allumés du Jazz !
Jean Rochard et François Corneloup
Au programme de l’après-midi on retrouve un autre violon, celui de Jean-François Vrod, avec LA SOUSTRACTION DES FLEURS, « airs de moyenne montagne ». Frédéric Aurier (violon) et Sylvain Lemêtre (zarb) l’accompagnent dans cette musique traditionnelle nouvelle – une bouffée de fraîcheur et de bonheur.
Jean-François Vrod et Frédéric Aurier, violons / Sylvain Lemêtre, zarb
Puis CONNIE & BLYDE, belle complicité entre la voix de Caroline Sentis et le violoncelle de Bruno Ducret. Deux gangsters qui aiment jouer avec les mots.
Caroline Sentis, chant / Bruno Ducret et Maëlle Desbrosses, violoncelles
Bruno a tout juste le temps de rejoindre le septet de Dominique Pifarély pour se plonger dans la SUITE : ANABASIS. En filigrane,un poème sibyllin de Paul Celan, évocation de l’exil – le mot résonne dans notre actualité. Cet ancrage dans la poésie de Paul Celan nourrit depuis longtemps l’écriture de Dominique Pifarély :
- 2002 : Anabasis, pour choeur, 6 musiciens et 2 récitants (Scène nationale de Montbéliard)
- 2008 : Im Lichte – Impromptu (Dominique Pifarély, François Couturier, Dominique Visse)
- 2009 : Méridien – Nommer chaque chose à part (ensemble Dédales)
Dominique Pifarély, violon / Bruno Ducret, violoncelle / Sylvaine Hélary, flûtes / Matthieu Metzger, sax. soprano et alto / François Corneloup, sax. baryton / Antonin Rayon, piano et synthétiseur moog / François Merville, batterie
Aujourd’hui le poème se cache derrière la musique, trame sur laquelle les musiciens tissent leur partition, jouant de sa prosodie et de son rythme. La scansion des instruments mimant celle de la voix.
Dès les premières notes répétées du piano et l’émergence du baryton, un septet de rêve (Dominique Pifarély, François Corneloup, Bruno Ducret, Sylvaine Hélary, François Merville, Matthieu Metzger, Antonin Rayon) nous embarque pour une traversée labyrinthique, passant d’une musique de chambre contemporaine à un groove puissant. Un sommet dans le riche parcours de Dominique Pifarély.
Et pour rebondir après ANABASIS, il fallait l’évidente beauté des thèmes de Louis Sclavis et son quartet : Frédéric Chiffoleau, Christophe Lavergne, Benjamin Moussay. La musique de Dominique plonge ses racines dans la fréquentation des poètes, celle de Louis aime se frotter au dessin d’Ernest Pignon-Ernest. Quatorze années ont passé depuis Napoli’s Wall, l’histoire se renoue avec CHARACTERS ON A WALL. Superbes musiciens, superbe concert. En rappel Extases, moment de grâce où le temps est comme suspendu.
Louis Sclavis, clarinettes / Benjamin Moussay, piano / Frédéric Chiffoleau, contrebasse / Christophe Lavergne, batterie
Ces deuxièmes Rencontres Musicales se sont terminées avec LBK LABULKRACK, 14 musiciens autour du guitariste compositeur Hugo Bernier. Ça danse du côté des musiciens, ça danse du côté du public. Une fanfare festive, affûtée pour finir en beauté sous les étoiles.
Textes et photos, Jean-Yves Molinari