Une fois l’automne installé, il est des lieux que tout curieux de jazz, d’innovation et de repérages tous azimuts se doit, à mon humble avis, de fréquenter assidûment. Tels sont les rendez vous festivaliers proposés par Jazzdor à Strasbourg et par D’Jazz à Nevers dans le courant du mois de novembre. Cette année, mes pas mis en appétit m’ont porté vers la 37ème édition(!) festival de Nevers qui, sous la houlette fine et précise de Roger Fontanel, par ailleurs créateur du Centre Régional du Jazz en Bourgogne et Franche Comté, proposait, comme à son habitude, un savant alliage de créations et découvertes hexagonales ou européennes et mondiales. Reflétant bien là une remarquable effervescence et la belle vivacité d’une musique toujours sur le qui vive.
A Nevers, cet alliage dans sa diversité est une marque de fabrique, un souci constant .
Cette 37ème édition démontre aussi particulièrement que la scène jazzistique longtemps quasi mono-sexe se féminise une peu plus chaque année.
Autre constat réjouissant, le festival de Nevers déplace beaucoup de publics. Que ce soit à la Maison de la Culture, au Théâtre Municipal ou au Café Charbon, les salles sont quasi pleines. Le fruit d’un travail inlassable mené toute l’année sur un vaste territoire par le festival et le Centre Régional….
Beaucoup de concerts (3 ou 4 par jour) pendant une grande semaine, un copieux programme duquel je vais extraire très subjectivement quelques coups de cœur dont certains seront accompagnés d’interviews captés quelques instants après les concerts, ou de simples invitations à retenir des projets passionnants au cas où musiciennes ou musiciens se produiraient sur votre territoire.
Débutons par ceux que vous n’entendrez pas au micro de Jazz In.
En commençant par un maestro discret et sa guitare portée haut, l’américain Bill Frisell dont la complicité avec avec le lunaire contrebassiste(est-ce antinomique?) Thomas Morgan subjugue toujours autant. Une conversation, autour d’une batterie toute aussi délicate, faite d’une écoute mutuelle hors du commun menant la musique vers des sommets d’incandescence.
Autre invité de marque en provenance des Etats Unis, dans un tout autre registre musical, le saxophoniste ténor James Brandon Lewis, au son ample et chaud, parfois âpre, lui également admirablement « servi » par un quartet complice de longue date: le pianiste cubain Aruan Ortiz, le contrebassiste Brad Jones et le batteur Chad Taylor. La « Great Black Music » démontre là avec ferveur qu’elle sait résister à toutes les intempéries du lancement marketing du Nième futur grand saxophoniste noir. Il faut suivre l’expression habitée de ce « jeune » saxophoniste encore trop peu invité en France et de ses compagnons de scène qui ne lâchent rien du discours de leurs grands précurseurs tout en traçant leurs chemins très actuels.
Enfin, j’éprouve une affection particulière pour le projet Piazzola Nuevo portée par la jeune bandéoniste Louise Jallu, que l’on a pu voir évoluer depuis son début il y a deux ans environ, pour atteindre, là encore, des sommets d’intelligence collective. Il s’agit d’un hommage totalement respectueux au maestro argentin tout autant qu’une relecture contemporaine délicate mise en forme par une musicienne on ne peut plus brillante. Chaque musicien (Grégoire Le Touvet au piano, Mathias Levy au violon, Karsten Hochapfel à la guitare et Alexandre Perrot à la contrebasse) y a une place à part entière dans l’écriture précise et lumineuse de Louise Jallu, et dans les soli tout sauf bavards. Là encore, je ne peux que vous inciter à découvrir sur scène ce quintet enthousiasmant….
Je serai forcément plus bref sur quatre autres projets dont les porteurs sont prolixes au micro de JazzIn. N’empêche, en guise d’introductions…
La flûtiste Sylvaine Hélary, est l’invitée fil rouge du festival avec Bize, le duo qu’elle forme avec le saxophoniste Robin Fincker , intervenant devant de nombreuses classes de primaire de Nevers et son agglomération et à la tête d’un grand ensemble, L’Orchestre Incandescent. Des poèmes d’Emily Dickinson sont au centre d’un délicat clair obscur de cet orchestre à l’instrumentarium étonnant…
Le trublion vocaliste helvétique Andreas Schaerer a l’art du rebond imprévu. Entouré du guitariste finlandais Kalle Kalima et du contrebassiste et bassiste américain Tim Lefebvre, il s’offre cette fois un projet chanson quasi folk, mais bien sûr avec la malice et la virtuosité ébouriffante qu’on lui connaît.
Textes et musiques. La veine d’inspiration est infinie tant la langue des poètes et des écrivains est musicale.
Le contrebassiste Arnaud Cuisinier avec son projet « The Source » invite la poésie de Rabindranath Tagore à se mêler à la voix chargée d’émotion d’Élise Caron, à la guitare particulièrement inventive de Paul Jarret et à la batterie fantasque d’Edward Perraud.
Que dire enfin de « L’Intranquillité »inspiré par Fernando Pessoa, porté de concert par le comédien Frédéric Pierrot et le batteur Christophe Marguet, rejoint depuis peu par la contrebasse de Claude Tchamitchian ? Comment les musiciens s’ingénient à trouver la juste place , sans illustrer ni couvrir les propos du poète portugais, aussi profonds qu’affolants. Comment Frédéric Pierrot dit, danse et déroute, admirable d’intensité, d’investissement périlleux au cœur des tourments de l’auteur. Sublime !
Yann Causse