Bruisme #9

Pour couvrir cette 9° édition du festival Bruisme, JAZZ IN bénéficiait d’une équipe de choix.

La plume affutée de Guillaume et l’objectif complice de Jean-Yves, pour rendre compte au quotidien d’une programmation, toujours aussi exigeante, aventurée sur les chemins de traverse.

du 27 au 30 juin 2019.
Chantier Public et Le Confort Moderne / Poitiers

JOUR 1. 

Sergej Vutuc est un skateur. La culture DIY, le choc des images et le poids du son, il connaît. Son set calé sous la voie André Malraux et sur un manche de guitare — inventé autour d’un aimant rapporté d’une destruction de photocopieur — a le même vibrato que l’auteur de la Condition humaine face aux cendres de Jean Moulin. Monumental et monolithique. Sa musique est percluse d’effets visuels, ses images de marine et son corps est entier tourné vers son affaire. Casser des trucs. Détruire, c’est toujours produire. Dans un lieu nommé Chantier Public, ça sonne clair. En bref, un génial pensum anti-stakhanoviste.

 

Un peu comme le duo Reverse Winchester, carrément laidback dans son proto-blues à fort usage de scansions et de spasme électrisé. Ça pourrait illustrer un western. Monty Clift y afficherait son mauvais profil, celui qui s’est cassé sur le bord d’un trottoir. Mike Ladd y manierait la prosopopée comme James Stewart manie le colt — avec une noirceur profonde qui vous laisse la tripe inquiète — et Mathieu Sourisseau y plaquerait ses accords pensés comme des accrocs dans le bois des cercueils des desperados. Les méchants, pas la boisson. Parce que, côté musique, Reverse Winchester ce n’est pas de la petite bière. C’est de la miniature intimiste, certes, mais avec une profondeur de champ qui demande à être filmée en cinémascope. Bruisme est lancé. Gosh! They got me, Jimmy.

 

JOUR 2.

Comme tout échassier sachant respecter sa lignée, Héron Cendré sait tenir sur une seule patte. Mais pas sans les mains. Son électro-pop-impro s’affiche peut-être comme une jolie réclame pour Bricolandia, n’empêche que la musique qui bouge à l’intérieur de ce concert a une jolie gueule d’Hollywood artisanal. Du manuel patenté. Le genre de truc où on verrait un Richard Pinhas étudier l’intégrale de Nino Rota, un Clint Mansell faire du découpage de tôle ondulée ou encore un Giorgio Moroder adolescent glisser des pilules en loucedé dans les verres de ses copains. Magnifiquement foutraque.

 

Will Guthrie & Oren Ambarchi ? La classe pendulaire d’un cycliste sur le Galibier. Longue montée sans lacets avalée au 54×12, le sourire aux dents en prime de victoire. Drive impeccable contre force tranquille sous effets : à la frappe humaniste de Guthrie répond sans frimer le dosage de pédale d’Ambarchi. Pas le moindre intérêt pour la compet’, pas la moindre chance pour un bras de fer. Ce duo vous enveloppe et vous balade sans même quitter sa chaise. C’est super élégant, tout à fait frontal et parfaitement gentleman. Sans doute un vieux truc d’hypnotiseur, va savoir.

 

Un peu plus tard, Joe McPhee. Coltranien comme rarement, collé à l’os des morceaux, hymnique et diablement crépusculaire. En plein survol, à peine alourdi par les frappes de Klaus Kugel et les entourloupes magistrales de John Edwards. Le soufflant porte fièrement un Poughkeepsie frappée sur le T-Shirt et ses citations de Love en bandoulière. Ça garde l’allure d’un kid face au mur de l’impro, les poches pleines d’autres traces d’amour suprême. Pas vraiment porté sur la résurrection des mythes, ce trio est parfaitement tourné, et sans économie de discours, vers le prolongement de trouvailles anciennes, de quête spirituelle active et de quelques tendres essentialités mordues avec une rage de dents terrible. La chimie est parfaite et propulse chants et incantations direct au cœur de celui qui les entend.

 

Plus loin, Roue Libre est en roue libre. Ça joue vite, ça frappe fort, ça tape dur. Ça joue ainsi jusqu’à ce que le chr/O/ne de Matèu Baudoin prenne le relais et s’accapare chaque oreille présente. Bourdon et musique trad’ frappée du talent. Petit gabarit et gros coffre. C’est looké comme un coursier new-yorkais fan de NOFX mais ça vous vrille le patrimoine au flanc. Bien entendu, ça a tété la mamelle du terroir, c’est chanté têtu et carrément entêtant dans ses appels lancés aux bergeries de nos âmes. Ça cause d’éternel à renouveler sans cesse, c’est bourré d’élisions de fin de phrases mouillées de reverb’, ça sent l’humus et c’est tendu comme un drone de La Monte Young. On finira la journée sur cette image : Matèu à genoux devant sa hurgy toy continuant de chanter avec un volume à couvrir quelques vallées dont les habitants seraient à réconcilier. L’antique et l’actuel rectifiés par la même puissance élévatrice. Beau à pleurer.

JOUR 3. 

Ouverture du jour par l’électro arboricole de Jean-Philippe Gross. Calé sous son noyer comme Saint-Louis sous son chêne, JiPé délivre ses petits oracles noise et polyrythmés fabriqués main. Feedback, déflagrations à l’envi comme à l’étouffée. C’est plein de réinventions du souffle qui enrobent les auditeurs allongés en quadriphonie. C’est beau, patient, plein de tensions amicales et parfaitement ouvert aux pronostics quant au final.

 

Au frais, Iana. Deux pianos dans un face to face à faire rougir Tinder himself. Pas de négo préalable, pas de déclaration de principe. Bienvenus au Royaume du cluster où la matière et l’invention sont les reines du bal. Beethov’ y joue du Caterpillar, Cage se marre en embuscade et Cecil Taylor passe une tête bien faite par la portière du véhicule. Un véhicule conduit par les têtes bien pleines et les mains d’or de Christine Wodrascka et Betty Hovette. Deux pianos à contresens. Les capots sont ouverts. Pas besoin de constat à l’amiable pour autant. La résonance mettra tout le monde d’accord et chacun d’aplomb.

Issu de la même écurie, Kill Your Idols ! cuivre la suite. Orphéon grunge pour faux baltringues, KYI!, c’est Sonic Youth au pays des Brassbandes. 2 combos réunissant 7 mercenaires pour régler le compte musical des zinzins new-yorkais. Boulot de malade sur les basses, contrepoints impecc’ et souffleries qui lorgnent en hurlant sur leur modèle. Pas d’idolâtrie pourtant, on pourrait appeler ceci une revisitation. Tant pis pour les fans de Lourdes, les seules auréoles qui seront apparues, sont celles qui ont trempé les aisselles des foufous occupés à headbanguer en devant de scène.

 

T’iras trouver la trompette, toi dans le maelström posé tranquillement par Nina Garcia pour son solo titré éhontément Mariachi. Tant pis pour les tacos, tant pis pour les porteurs de sombrero, ce mariachi-ci joue plutôt pour réveiller les morts parmi les révolutionnaires de Pancho Villa. Seule, accroupie et texturant sa guitare ou seule, debout  et faisant feu de toute sympathie de corde, la pitchoune — comme on dit au pays des calanques — mate les bestiaux de la noise sans s’en faire et avec une précision terrible. Bien entendu vous trouverez ce qu’il faut d’énervé et de viscéral mais il y a aussi tout une collection de drones bien pesés, d’infrabasses cracras et de larsens mal coiffés. Bien mieux qu’un album Panini sur l’histoire du punk féminin.

Bleu forêt, comme couleur pour le duo Zywizma. Tradition de l’Est contre guitare revue sous le filtre de l’Ouest. Du blues de Kurpie. Cubiste et pointilleux face aux chants répétitifs jusqu’à être édifiants : « Jeunes filles ne courez pas nues dans les bois… ». Nous voici prévenus.

Resserrés en scène comme le budget de la culture sur le bureau d’un fonctionnaire, les trois musiciens de La Femme en rouge, ont cependant les horizons de vue très larges. Ça frappe, ça braille, ça feule. Tous azimuts. On pourrait y trouver une forme de translation frenchie du mot anglais trip. C’est joyeux, archibarré, brindigolant et autres qualificatifs de fêtards géniaux. Cette mini-fanfare à trois têtes pousserait Rémi Brica dans des abîmes de dépression. En ce qui concerne le public du Confort Moderne, le plaisir est largement patent. Les nuques devraient garder quelques souvenirs de ce set de troubadours furieusement portés sur les grelots, la transe et sur le jazz de rue.

Les nuques devraient conserver également quelques courbatures suite au set déter d’A_R_C_C. Né des acronymes de ses fourbisseurs, le duo livre le contenu de son électronique les yeux fermés et sans frais de port. Beats sérieux, manip DIY et rythmes obliques. À charge de l’auditeur de s’y perdre et d’y prendre plaisir. Certains appelaient ça le contrat de confiance. Pas mieux.

Textes Badneighbour (Point Break) / Photos Jean-Yves Molinari

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