Barney WILEN “Besame mucho”

Embrasse-moi, comme si c’était la dernière fois, comme si ta vie en dépendait, joue comme si tu allais mourir demain, embrasse-moi, que je sente la passion qui te brûle, fait moi chavirer avec ton saxophone, que je sente l’émotion qui te traverse, souffle dans ton ténor, ces notes bleues au bord du vide.

Suave, moelleux, charnel, Barney suspend ses notes dans l’air, telles des volutes de fumée, notes liquides, fluide léger porté par la pulsation souple de la contrebasse et le tempo des balais effleurant les peaux, notes de cristal égrenées au piano, silences sur des tapis de velours, fragiles respirations, avec ces compagnons rares, maîtres du clair-obscur, Michel, Ricardo et Sangoma.

Chansons nostalgiques, ballades françaises intemporelles, de Charles et son âme de poète, Henri et son paradis perdu de Syracuse, Vladimir et sa mélancolie des feuilles mortes, Django et son manoir de rêves, Edith et sa vie pas si rose, enveloppées dans du satin et de la soie, par ce saxophone ténor jouant vite, au ralenti, comme le ” duende ” du torero, qui suspend le temps, quand les cornes et la mort tournent autour de lui, apesanteur, brouillards et mystères Lesterien.

Assise, Marie écoute Barney, immobile, pinceaux entre ses mains, une longue mèche dévorant son visage.
Peint moi ces belles lascives aux regards tristes, ces danseuses impudiques, ces belles qui s’ennuient, ces regards de désirs inassouvis, peint moi un sanctuaire, un talisman, dit moi qui sont ces chiens sauvages du Ruwenzori.

Sur les murs, des toiles, des corps nus de femmes africaines, semblant écouter Barney souffler dans son ténor, vacillant sur une jambe, reprenant son équilibre, pour s’envoler, aspiré par la musique.

Plainte mélancolique du saxophone, douleur lancinante, chute libre ralentie vers la lumière blanche, images floues d’un rêve éveillé, sons lointains s’estompant, lenteur extrême de la pulsation de la contrebasse, ultimes frottements des balais sur les peaux, notes imperceptibles du piano, il sent qu’il ne touchera plus ce corps, qu’il n’embrassera plus cette bouche, qu’il ne caressera plus ces cheveux, qu’il ne sentira plus ce parfum sur le grain de sa peau, qu’il n’entendra plus ce rire, cette voix douce qui ne lui dira plus :  “besame mucho, como si estaba la ultima vez”

Christian Pouget


Actu réédition discographique:
Barney Wilen – Jazz sur Seine – Phillips P 77.127 L - 1958.
Limited Edition chez SAM Records

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