Anglet 2016, surfe sur la vague

anglet-2016Au pays du surf et du rugby, le jazz n’est pas roi. Ce qui n’a pas empêché un pianiste du cru, Marc Tambourindéguy, d’inventer, il y a une dizaine d’années, un dimanche musical et champêtre justement nommé « Jazz sur l’Herbe » où un gros millier de personnes venait profiter de la gratuité de l’évènement pour découvrir des musiciens rares sur la Côte Basque (Philip Catherine, Giovanni Mirabassi, David Linx …). Depuis trois ans la manifestation a grandi pour devenir l’Anglet Jazz Festival, les concerts du vendredi et du samedi ayant lieu dans le très beau Théâtre  Quintaou pour un tarif tout à fait convenable.

L’édition 2016 a même commencé dès le jeudi (22 septembre) par un concert (encore gratuit) du groupe OWAL qui était en résidence depuis le début de la semaine aux Ecuries de Baroja, belle bâtisse restaurée avec goût derrière le château et le parc du même nom. Malheureusement, la « boîte à chaussures » surchauffée de 80 places n’est pas le lieu idéal pour y écouter quoi que ce soit  pendant une heure, même si la musique d’OWAL mêlant l’improvisation à l’électronique put trouver des adeptes courageux ce soir-là.

Pour nous, le vrai festival commença le vendredi et c’est à un autre pays du surf que nous fit penser le premier concert. Après des années passées derrière le rideau, Marc Tambourindéguy présentait son nouveau quartet avec lequel il venait d’enregistrer un disque où Sylvain Luc est invité. Très vite il nous vint à l’esprit la couleur du label californien GRP des années 90. De jolies mélodies lyriques dues au leader, une exécution sur un mode aussi pop que jazz, et une interprétation privilégiant l’efficacité trouvèrent vite réponse auprès d’un public gagné à la cause du projet. Regrettons toutefois un son cotonneux sur la voix de Pascal Ségala qui avait surpris son monde en posant sa guitare pour un slam de son invention sur une musique de Tambourindéguy.

Le vocal était également au programme du deuxième concert de la soirée et Virginie Teychené enchanta un public qui la découvrait. Pour notre part, on connait depuis des années ses qualités techniques, son swing et la façon dont elle peut habiter les textes qu’elle chante. Mais on put découvrir ce soir-là une autorité en scène alliée à une grâce naturelle qui montrent combien les planches sont son territoire de prédilection. Cette fille a du chien en plus d’un grand talent et le public le sent. Sur un répertoire savamment dosé entre standards du jazz (Abbey Lincoln, Duke Ellington), chanson française (Nougaro, Bashung) ou compositions personnelles, elle fait preuve d’une aisance égale et son charisme s’impose naturellement. Aidée par une complicité qui la lie à ses musiciens depuis des années, Virginie avait en plus ce soir-là l’harmonica d’Olivier Ker Ourio pour lui donner le change, et le succès se transforma vite en triomphe.

Autres lames le samedi soir avec l’accordéon de Didier Ithursarry. Longtemps marqué dans sa relation avec le jazz par le blues des cajuns outre-Atlantique et le swing manouche plus près de chez nous, voilà un instrument qui n’en finit pas de se libérer de ses bretelles. Dans cette longue marche vers l’émancipation il faudra désormais compter avec Didier Ithursarry qui, après un parcours qui l’a mené de François Béranger à Sanseverino, nous propose aujourd’hui  son propre quartet. De l’exercice périlleux d’un trois temps moderne dans L’Antichambre, hommage à ses aînés, au magnifiques Lavandières,  duo avec le soprano grandiose de Jean-Charles Richard, nous aurons également découvert dans ce somptueux concert un batteur aussi iconoclaste que groovy, Joe Quitzke.

La fête n’était pas finie ce soir-là puisque le quartet d’Eric Le Lann investit la scène pour terminer la soirée, et de quelle manière ! Une fois de plus l’artiste nous montra qu’il était un grand musicien avant d’être un grand trompettiste. Pas d’effets de pavillon ou de suraigus démonstratifs mais un phrasé unique et un sens musical digne des plus grands. Lui aussi fut secondé par trois petits maîtres qui sont déjà trois petits monstres. Paul Lay ponctue, relance, attise de ses accords introuvables et se lance dans des solos dont la virtuosité n’a d’égale que l’imagination. Sylvain Romano est à la fois le tempiste parfait et l’improvisateur inspiré. Quant à Donald Kontomanou, son écoute autant que son drumming démentiel lui font réinventer la batterie. De la Dance profane de Debussy à une version réinventée de The Man I Love ce concert fut l’un des plus beaux auxquels nous avons assisté ces derniers mois.

Cette année, le jazz ne fut pas sur l’herbe le dimanche, faute à une météo qui donna rendez-vous à une pluie persistante. Les concerts dominicaux eurent donc lieu au théâtre, la foule des amateurs de grand air se réduisant d’autant. L’énergie funk et fusion du groupe toulousain Offground Tag ne put y donner la même mesure. Quant au trio du pianiste Ronnie Lynn Patterson, ni la contrebasse de Darry Hall ni les pieds nus d’un batteur dont j’ai déjà oublié le nom ne permirent de mettre en valeur un répertoire mal choisi. Finalement, ce sont les plus jeunes qui nous ont enchantés en ce dimanche après-midi : le quintet latin du batteur Gaétan Diaz est une pure merveille. On retrouvait là le haut niveau des deux soirées précédentes qui firent de cette édition de l’Anglet Jazz Festival la meilleure depuis trois ans.

Philippe VINCENT  

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