La 15ème édition du Jazz Festival d’Anglet s’est déroulée comme chaque année dans l’auditorium de Quintaou du 15 au 18 septembre avec une programmation éclectique des plus intéressantes et de grande qualité, pour le bonheur des amateurs de bonne musique.
Le festival s’est ouvert avec le trio du pianiste espagnol Diego GARCIA, accompagné par le contrebassiste Reinier « EL NEGRON» et le batteur Shayan FAHTI.
Les pianistes et les musiciens de Jazz ibériques ne sont pas légion, l’on se rappelle bien entendu de Tete MONTOLIU natif de Barcelone, et de son compatriote Ignazi TERRAZA, de l’andalou Chano DOMINGUEZ, du basque Mikel AZPIROZ, et du saxophoniste navarrais Pedro ITURRALDE, le premier qui mélangea le Jazz et la musique flamenco si typiquement espagnole dans les années 1960.
Et c’est justement vers cette symbiose, ce mélange Jazz-flamenco auquel Daniel GARCIA se réfère dans sa musique avec bon goût, swing et sens de la mesure.
Magnifiquement accompagné avec une grande efficacité par ses acolytes « El NEGRON » et Shayan FAHTI, Daniel GARCIA nous a véritablement enchanté grâce à ce mélange très réussi de deux traditions musicales si différentes et pourtant si riches et si proches.
Le natif de la belle ville de Salamanca a derrière lui une solide formation académique puisqu’il a étudié le piano à la Berklee School de Boston avec le pianiste panaméen Danilo PEREZ , et a déjà enregistré quatre albums.
Le dernier opus pour le label ACT s’intitule « Via de la Plata » et présente huit de ses compositions arrangées par lui-même.
Quelques invités (Ibrahim MAALOUF, Gerardo NUNEZ, Anat COHEN), participent à l’enregistrement de l’album.
A Anglet, il se produit donc simplement en trio – une combinaison toujours délicate qui exige une grande rigueur – avec plusieurs compositions tirées de ses deux derniers albums, parmi lesquelles « La Leyenda del Tiempo », « Calle Compania « , « Calima », « Comunidad », dans lequelles se ressent cette forte influence du flamenco que le pianiste considère comme très proche de l’esprit du Jazz et dont il fait sa signature.
Son récital se veut aussi un hommage à deux figures majeures du flamenco : le guitariste Paco de LUCIA (1947-2014) et le chanteur Camaron de la ISLA (1950-1992), les deux hommes ont collaboré sur une dizaine d’albums, et se sont intéressés à cette fusion Jazz-flamenco.
C’est donc avec ce mélange des deux traditions que le trio de Daniel GARCIA nous a véritablement enchantés, enthousiasmés, le lyrisme, la fougue et l’excellente technique du pianiste jamais à cours d’idées, superbement accompagné par ses deux acolytes, a su séduire l’auditoire, grâce à un grand sens du swing et cette forte coloration espagnole qui rend ce récital de Jazz si singulier et si séduisant.
Un trio flamboyant entrecoupé des solos habituels de contrebasse et de batterie qui a valu aux musiciens une standing ovation bien méritée.
Ce premier opus est suivi par le quatuor du batteur Raphaël PANNIER, que nous avons déjà eu le plaisir d’écouter l’année dernière au festival Respire Jazz à l’abbaye de Puypéroux en sud Charente.
Raphaël PANNIER qui a longtemps vécu aux Etats-Unis partage avec Daniel GARCIA un cursus à la Berklee School of Music de Boston, il a aussi étudié à la Manhattan School of Music.
Il est magnifiquement accompagné par des musiciens dont la réputation n’est plus à faire : l’éblouissant pianiste Thomas EHNCO qui apporte sa touche raffinée et élégante, le saxophoniste ténor et soprano Stéphane GUILLAUME à la superbe sonorité, le puissant contrebassiste Jérémy BRUYERE qui nous gratifie de solos flamboyants, et bien entendu le leader de cette belle formation, le batteur Raphël PANNIER qui se taille la part du lion et nous livre de solos de batterie d’une grande énergie et d’une folle virtuosité en utilisant toutes les ressources de la percussion – mains, baguettes, balais.
Son album « Faune » enregistré en 2020 à New York a été considéré par les critiques comme l’un des meilleurs de l’année, il conjugue plusieurs influences et fait référence à différentes traditions et styles de musique, le classique avec Maurice RAVEL et Olivier MESSIAEN, la musique brésilienne avec Hamilton de HOLANDA, le Jazz moderne avec Ornette COLEMAN et Wayne SHORTER et plusieurs de ses propres compositions.
Le quatuor nous entraine immédiatement dans sa folle énergie avec le thème d’Ornette COLEMAN, « Lonely Woman », suivi par « Midtown Blues », ainsi que d’autres compositions qui vont figurer dans le prochain album du batteur en cours d’élaboration.
Un très beau récital, très tonique, quelquefois à la limite du free, entrecoupé de solides solos du saxophoniste, du pianiste et du contrebassiste tous excellents et en parfaite symbiose.
Nous sommes donc très gâtés après cette première fête musicale tout à fait professionnelle et pleine de bonnes surprises : du bon, du vrai, de l’excellent Jazz qui bouge et qui remue.
Le deuxième soir nous écoutons la chanteuse Mélanie DAHAN dans un récital de poésie en français, ce qui n’a rien d’évident.
Elle est accompagnée au piano par l’excellent Jérémy HABABOU qui a travaillé sur les compositions de ce répertoire, le brillant Jérémy BRUYERE que l’on retrouve à la contrebasse et à la basse électrique, Arthur ALLARD à la batterie, Benjamin PETIT au saxophone.
Le récital fait écho à son dernier album sorti il y a deux ans – le quatrième – « Le Chant des Possibles », avec des poèmes de Henri de REGNIER, Andrée CHEDID, Tahar Ben JELLOUN, Paul MISRAKI, Michel HOUELLEBECQ, etc…
La chanteuse commence avec un célèbre poème de Charles BAUDELAIRE, « Ennivrez-vous », qui donne le ton à l’ensemble de la prestation, et enchaine avec plusieurs poèmes dont certains sont repris de son dernier disque.
Mélanie DAHAN est dotée d’une voix douce et caressante, bien placée, avec une bonne diction, elle nous donne un récital des plus agréables dans un style relaxant et calme, avec une fois de plus des accompagnateurs qui tirent leur épingle du jeu, notamment le pianiste avec une référence aux « Jeux d’Eau » de notre cher Maurice RAVEL.
Le deuxième set qui vient clore cette deuxième soirée nous vient du nord de l’Europe, sous la direction du contrebassiste et violoncelliste suédois Lars DANIELSSON, accompagné par le pianiste Grégory PRIVAT, le guitariste John PARRICELLI, et le batteur Magnus OSTROM.
Natif de Goteborg en Suède, Lars DANIELSSON a déjà une longue et riche carrière derrière lui, il a formé dans les années 1970 un quartet avec le saxophoniste Dave LIEBMAN, le pianiste Bobo STENSON et le batteur Jon CHRISTENSEN, a joué avec la crème des musiciens de Jazz européens et américains, et a plus d’une vingtaine d’albums au compteur, notamment pour le label ACT, ainsi que de nombreuses collaborations comme accompagnateur.
On est immédiatement surpris par l’excellente sonorisation du groupe, plus puissante, plus ronde, plus ample, la contrebasse parvient jusqu’à nous avec une sonorité grave et roulante qui vibre et résonne avec profondeur et puissance.
Ce son nordique très particulier que l’on retrouve en partie dans cette formation (que je qualifie de « Ice Jazz »), a fait la bonne fortune et la réputation du très original label allemand ECM fondé il y a une cinquantaine d’années par Manfred EICHER, une véritable révolution stylistique, en proposant une lecture du Jazz toute nouvelle fondée sur la beauté et la clarté, du son, l’utilisation du folklore scandinave et des musiques traditionnelles, une atmosphère parfois brumeuse et une certaine épure, voire une certaine austérité.
Son quatuor est cependant international, Grégory PRIVAT qui se déchaine au piano avec une énergie et une force communicatives est d’origine martiniquaise, le guitariste John PARRICELLI est anglais et me fait penser à John ABERCROMBIE avec de longs solos planants et fluides, quant au batteur suédois Magnus OSTROM il a acquis la célébrité en participant au trio EST du pianiste suédois Esbjorn SVENSSON, malheureusement trop tôt disparu dans un accident de plongée sous-marine.
Son travail qui utilise particulièrement les balais dans un style shuffle est tout à fait impressionnant par son implacable régularité, son assise rythmique efficace et pleine de swing qui pousse les musiciens vers le meilleur et sait faire monter la pression jusqu’au paroxisme, dans une tension bienfaitrice que le public conquis ressent en profondeur.
Le récital commence avec le thème « Nikita’s Dream », suivi par plusieurs mélodies très séduisantes, assez simples mais très belles et très élégantes, basées sur des motifs répétitifs et sans doute inspirées par le folklore scandinave, composées par le brillant contrebassiste qui nous gratifie de solos puissants et incandescents.
C’est cette montée en puissance qui impressionne et enthousiasme le public par sa force, son sens de la tension rythmique, sa virtuosité jamais gratuite, une musique envoutante, très mélodique, d’une grande intensité qui vous donne la chair de poule et vous fait dresser les cheveux sur la tête, à la fin du récital tout le monde est debout avec des applaudissements frénétiques bien mérités.
Nous sommes donc sortis de ce remarquable concert avec des étoiles de glace et de feu dans les oreilles, conquis par l’extraordinaire séduction de ce groupe en parfaite communion .
Je n’ai malheureusement pas pu assister aux deux journées qui ont suivi, mais mon excellent confrère et ami, le très estimable et très respecté Philippe VINCENT, s’est chargé d’en faire un rapport détaillé. [MA]
Michel d’Arcangues me passant le relais, j’en profite pour dire moi aussi combien les soirées du jeudi et du vendredi furent de haut niveau. Et celle du samedi combla encore un public qui était venu un peu plus nombreux, remplissant largement la partie basse du Théâtre Quintaou. A 20 h 30 le saxophoniste Eric Séva entra sur scène avec ses deux musiciens, le solide contrebassiste Bruno Schorp et l’étonnant batteur brésilien Zaza Desiderio. J’avais déjà vu Séva à deux reprises cet été en duo avec le tromboniste Daniel Zimmermann pour deux prestations délectables et c’était une fois de plus sans aucun instrument harmonique à ses côtés qu’il se présentait à nous. Mais le saxophoniste a un tel sens mélodique et de tels moyens qu’on allait oublier bien vite sa solitude aux côtés de la paire rythmique. Son répertoire fut essentiellement constitué de morceaux de sa composition, certains figurants sur son disque en trio “Résonances” (Les Roots d’Alicante en hommage à ses lointaines racines espagnoles ou Le Village d’Aoyha) et d’autres qu’il a enregistrés sur des albums antérieurs. Parmi eux, Trains Clandestins évoquant l’exode des afro-américains du sud esclavagiste vers le nord industriel et Pipas, nom que donnent les brésiliens aux cerfs-volants qu’ils font planer au-dessus de certaines favelas de la banlieue de Rio. Il ne joua pas de ténor, se concentrant sur le soprano (quelle belle sonorité sur les ballades ! ) et sur le baryton qu’il semble de plus en plus affectionner pour notre plus grand plaisir. Nourri de deux cultures, l’une savante (conservatoire, etc) et l’autre populaire (il commença à jouer avec son père dans les bals), Eric Séva réussit une fois de plus à cacher la sophistication de la musique qu’il joue derrière une apparente simplicité qui fait adhérer le public à son projet avec enthousiasme. Pas d’esbroufe technique ou racoleuse, rien que du beau. La marque des meilleurs !
Pour la deuxième partie de soirée, Marc Tambourindeguy, fidèle à sa politique affichant toujours un éclectisme de qualité, avait choisi de programmer Robin McKelle. Doit-on le rappeler, certains gardiens du temple jazzistique font parfois la fine bouche quand on parle de cette chanteuse américaine, trouvant que son répertoire flirte trop souvent avec le blues et la soul music et qu’il est trop populaire. Pour notre part, nous avons toujours pensé que les penchants de cette native de Rochester pour la soul et la pop n’obéraient en rien ses grandes qualités vocales et ce n’est pas la première à vouloir élargir le champ du jazz à des musiques cousines. Ce qu’elle fait avec talent, d’autant plus que la légère raucité de sa voix convient à merveille au répertoire qu’elle choisit. Elle reprit donc une partie de son dernier disque dédié à de grandes dames de l’art vocal. Parmi elles Amy Winehouse (Back To Black), Janis Joplin (Mercedes Benz), Dolly Parton (Jolene) et un émouvant You’ve Got A Friend (Carole King) où la chanteuse s’installa seule au piano. Mais les classiques du jazz ne furent pas oubliés avec, entre autres, Joy Spring, Soulville ou Misty. A ce propos, la chanteuse nous annonça que son prochain album, prévu pour le début de l’année prochaine, serait un hommage à Ella Fitzgerald en compagnie de Kenny Barron, Peter et Kenny Washington. Excusez du peu ! Pour l’heure, Laurent Coulondre était dans le rôle du remplaçant de luxe aux côtés de Amen Saleem et Jason Brown et il fut au four et au moulin entre l’orgue et le piano, montrant que lui aussi avait le groove qui coulait dans ses veines. Il fut parfait derrière Robin McKelle qui ne tarda pas à mettre la salle dans sa poche, terminant devant un public debout qui se mit à danser. Les ankylosés du popotin et autres bégueules auraient pu voir combien la scène est son royaume, mais il n’y en avait pas ce soir-là si l’on en juge par le triomphe que le public lui réserva.
Le beau temps du dimanche permit de retrouver le parc de Baroja pour la journée Jazz sur l’herbe qui donna son nom au festival les premières années. Pour la premières fois, et pour limiter le déficit qui solde souvent les comptes de ce festival, l’entrée n’était pas gratuite mais on devait débourser cinq euros pour les trois orchestres programmés. Eh bien, croyez-le si vous voulez, il y eut des râleurs qui trouvèrent scandaleux de devoir payer cette obole. A croire que les musiciens et les techniciens doivent vivre d’amour et d’eau fraîche. D’accord pour payer ses achats au supermarché ou sa bière au bistrot mais la musique doit être gratuite pour ces tristes sires qui n’ont que mépris pour tous les bénévoles qui étaient là à leur service. Passons … Si je suis arrivé trop tard pour écouter tout le concert du groupe Holocène, les derniers morceaux m’ont permis d’entendre un très bon flûtiste à la tête d’un groupe homogène qui offrait au public une musique pleine de finesse dans cette atmosphère champêtre.
Suivait le quintet de Marie Carrié, une chanteuse qui était déjà là quelques années auparavant sous les frondaisons de Baroja. Son nouvel orchestre, sans point faible, semble mieux convenir à la jolie métisse et au répertoire de standards qu’elle a choisi. Yann Pénichou (bien connu dans le Sud-Ouest) est à la guitare, Guillaume Nouaux (qu’on ne présente plus) à la batterie, Laurent Vanhée à la contrebasse et Alex Golino au saxophone ténor pour répondre élégamment à la voix de Marie Carrié. Un quintet qui est devenu une valeur sûre.
Enfin, l’après-midi se terminait dans l’allégresse avec le Bokale Brass Band, sorte de fanfare un peu déjantée qui s’inspire des orchestres de la Nouvelle Orléans en adaptant avec goût et talent des morceaux venus d’horizons différents. La quinzième édition de cet Anglet Jazz Festival se terminait sous le soleil et nous faisait dire que ce fut peut-être la meilleure de l’histoire de la manifestation. Souhaitons que les questions de budget n’entravent pas la mise sur pied de la seizième édition car, depuis trois ou quatre ans, ce festival a gagné sa place dans le peloton de tête de ceux de l’hexagone. Bravo ! [PV]
CONCLUSION : Félicitations aux organisateurs du festival d’Anglet qui nous ont régalé avec une programmation de très haute qualité et d’une intensité rarement égalée.
Il est cependant dommage de constater que le Jazz, certes une musique exigeante et de passion qui demande de l’attention, une qualité d’écoute et une certaine concentration et qui se déroule et se développe dans un temps d’écoute assez long, n’intéresse guère la jeunesse, on a pu constater que le public était essentiellement constitué de seniors, avec une majorité de têtes blanches, qui bien entendu sont les bienvenus, mais peut-être faudrait-il faire un effort du côté des écoles de musique, des écoles, des lycées et des collèges, pour tenter d’attirer un public plus jeune et tenter de leur faire découvrir une musique qu’ils ne connaissent peut-être pas mais qu’ils souhaiteraient découvrir – on a pu constater qu’il restait encore de nombreuses places vides dans l’enceinte haute de la salle de Quintaou qui ne demandent qu’a être remplies.
Cela est d’autant plus paradoxal que la majorité des musiciens que nous avons eu le plaisir d’entendre est essentiellement constituée par de jeunes talents de très haut niveau passionnés par leur métier. [MA]
Textes, Michel d’Arcangues [MA] et Philippe Vincent [PV]
Photos, Marylène Cacaud