MASQUALERO
Odin / Outhere Distribution
Voici une réédition très judicieuse de l’une des premières productions du label norvégien Odin qui fut très actif du début des années 80 au milieu des années 90 et qui réactive aujourd’hui son catalogue. En 1983, le tout nouveau Arild Andersen/Jon Christensen Quintet allait vite se renommer « Masqualero », du nom d’un morceau de Wayne Shorter que le contrebassiste et le batteur découvrirent en écoutant un enregistrement du concert de Miles Davis au festival de Juan-les-pins de 1969. Arild Andersen ayant ses entrées chez ECM chez qui il avait déjà enregistré plusieurs disques dans les années 70, Masqualero fit ensuite trois albums sur le célèbre label munichois, ce qui permit au groupe de se faire connaître au-delà de sa Norvège natale. Mais ce premier opus réédité ici reste d’une fraîcheur incomparable et les jeunes acolytes de la fabuleuse paire rythmique Andersen/Christensen n’y sont pas pour rien. Jon Balke (alors 28 ans) a déjà une grande maîtrise de son clavier, qu’il soit acoustique ou électrique, ce qui ne nous étonne guère aujourd’hui vu sa carrière ultérieure. Mais ce sont Nils Peter Molvaer (trompette) et Tore Brunborg (saxophones ténor et soprano) qui nous épatent, apportant à cette musique très libre la fougue de leur jeunesse d’alors (ils ont 23 ans à l’époque) et participant pleinement à la forte identité musicale du groupe. L’addition sur cette édition CD de quatre morceaux enregistrés deux ans plus tard ne fait que mettre en relief la pleine vérité de la session d’origine. Entre les délires free, les rythmiques parfois rock et les ballades confondantes, on y perçoit parfois l’influence de la période électrique de Miles Davis mais on y sent toujours les préoccupations rythmiques et mélodiques chères aux musiciens scandinaves, que ce soit dans des compositions aériennes ou dans des interprétations pleines d’une énergie salvatrice.
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David Enhco « Horizons »
Nome / L’Autre Distribution
Depuis quelques années, deux frères bousculent la hiérarchie jazzistique. A côté de son cadet Thomas, jeune pianiste prodige qui a entamé très tôt une carrière de soliste, David Enhco a préféré commencer par jouer collectif, entre autre au sein de l’Amazing Keystone Big Band dont il fut l’un des cofondateurs pour créer le spectacle « Pierre et le Loup et le jazz » dont la qualité musicale n’eut d’égal que le succès rencontré aux quatre coins de l’hexagone. Mais cette expérience n’a pas empêché le trompettiste, dans le même temps, d’avoir son propre quartet dont les membres n’ont pas changé depuis cinq ans (Roberto Negro au piano, Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie), bel exemple de fidélité à un projet que le leader fait évoluer au fil du temps. Après « La Horde » et « Layers », « Horizons » apparait aujourd’hui comme l’œuvre d’une maturité précoce où s’affirment des choix esthétiques sans concessions. Au-delà de la sonorité lumineuse d’une trompette qui rappelle les plus grands, c’est la musique de tout un quartet qui nous transporte dans un univers aussi mystérieux qu’enchanteur, sans jamais tomber dans la facilité. A l’opposé des néo-hard-boppers qui envahissent nos platines, David Enhco et ses amis inventent une musique qui, si elle est éloignée des racines de l’idiome musical afro-américain, sait garder toute l’âme libertaire d’un jazz aujourd’hui mondialisé. Un très bel exemple des préoccupations artistiques contemporaines des musiciens de ce côté de l’Atlantique.
Philippe VINCENT