Dignement misérable, sombrement flamboyante, pieusement criminelle, Napoli, avec sa peau grise et noire recouvrant les façades de ses palais, de ses églises, de ses porches, de ses rues, transpire depuis des siècles, douleurs, joies, passions.
Chargés de tragédies, de comédies, ses murs suintent, rient, pleurent, crient, saignent, Ernest fait surgir des corps, fantômes traversant la pierre, Pignon sculpte leurs images, violents contrastes photographiques sur-réalistes, noir et blanc d’hier mêlés aux couleurs d’aujourd’hui.
Sclavis, suit Pignon à la trace, dans ces ruelles sombres, avec son équipée sauvage de musiciens virtuoses, Courtois, Collignon et Poulsen.
Tous, guettent l’inattendu, au coin de la « Via Santa Chiara », où un corps décharné, gît dans la gueule d’un soupirail, inanimé sur le pavé, tel un christ en descente de croix, chair emprisonnée dans la pierre.
Hasse introduit des arpèges sur sa guitare acoustique, sonnant comme un glas, Vincent chante la mélodie sur son violoncelle, beauté des timbres tel un répons des ténèbres, Médéric siffle à l’unisson, Louis fait vibrer l’ébène de sa clarinette basse, le son enfle sur un rythme lancinant, la guitare électrifié sature, porte la tension crescendo jusqu’à son paroxysme.
« Vicoletto San Domenico », jaillit l’image d’un assassin s’engouffrant dans un passage sombre, peut être Gesualdo ou Caravaggio, transportant le corps de leur victime ensanglanté.
Plus loin, une Madone tiens un drap étendu jusqu’à ses pieds, suaire ou linceul, pendant qu’un enfant court dans la rue, suspendu en l’air dans sa course.
Les quatre musiciens entonnent une saltarelle sautillante, le rythme tournoi, virevolte comme une danse transe, éblouissante virtuosité. Clarinette, violoncelle, guitare et cornet, jouent à l’unisson le thème d’une chanson qu’auraient pu chanter Gigli ou Caruso. Collignon vocalise tel un napolitain, sur le tourbillon effréné du groupe, s’envolant dans une danse folle, joie festive éphémère, pour se poser quelques instants après, sur cette mélodie mélancolique, apportant la tristesse nostalgique d’un monde disparu.
Louis Sclavis, a créé un univers sonore d’une grande richesse imaginaire, fusionnant sa musique avec les photographies et collages d’Ernest Pignon-Ernest, racontant une même histoire, illustrant une même vision poétique, tragi-comique, au travers du portrait de cette ville, Napoli, qui a le cul assis sur ce volcan de l’enfer, le Vésuvio, et qui chante et rie autant qu’elle pleure.
Christian Pouget