STUNT Records

stuntaniIl y a longtemps que la Scandinavie est une terre d’accueil pour le jazz. Bien avant que l’on parle des « musiciens venus du froid » qui envahirent à une époque le label ECM, de nombreux musiciens  américains étaient venus, après la deuxième guerre mondiale, s’établir dans les pays nordiques. Et le Danemark ne fut pas le dernier à les accueillir au point de devenir au fil des décennies l’un des plus actifs en Europe pour la promotion du jazz. On se souvient du fameux club de Copenhague Le Montmartre qui accueillit une pléiade de grands noms de la musique afro-américaine et on sait que deux grands labels européens, Storyville et Steeplechase, ont grandi au pied de la Petite Sirène. Pas étonnant d’y trouver aujourd’hui une autre marque incontournable.

Créé au début des années 80 par Peter Littauer, Stunt Records compte aujourd’hui plus de 500 références à son catalogue, se faisant l’écho de toute la diversité esthétique du jazz de ce début de siècle. S’y mêlent la tradition (Ed Thigpen, Scott Hamilton), un courant plus actuel (Kenny Werner, Stephano Bollani, Marilyn Mazur) et le jazz vocal (Katrine Madsen, l’étonnant Bobo Moreno et la formidable  Sinne Eeg que l’on verra enfin dans les festivals français cet été à Avignon et à Capbreton). Sans oublier les musiques latines (écoutez la douce folie du conguero Eliel Lazo), les sons plus électriques (la violoniste Line Kruse et le guitariste Mickel Nordso) et certaines musiques plus expérimentales.

Depuis ce début d’année, Stunt a publié plusieurs albums illustrant cet éclectisme. Certains se souviendront sans doute de l’émouvant duo que Karin Krog avait fait dans les années 70 avec Archie Shepp et la voici complice d’un autre saxophoniste, beaucoup plus classique celui-ci. Avec son quartet, le saxophoniste Scott Hamilton invite la norvégienne à un rendez-vous où l’émotion le dispute à un swing qui garde une place au vocalese cher à Jon Hendricks (The Best Things In Life). Autre ténor ancré dans la tradition, Harry Allen se laisse aller à la tentation brésilienne (Something About Jobim) avec une rythmique cent pour cent locale. Sa sonorité de velours nous rappelle bien sûr son maître Stan Getz sur un répertoire de bossa nova que « The Sound » avait exploré avant tout le monde il y a un peu plus d’un demi-siècle. Mâtiné de rock, de blues et de musique latine, Mikkel Nordso, légende danoise de la guitare, vient fêter les trente ans de son orchestre avec Diving In Space for 3 Decades, album qui ne peut se résumer à l’étiquette « fusion » malgré la présence de David Sanborn sur un titre, la trompette magique de Palle Mikkelborg s’envolant sur des rythmiques davisiennes qui effacent tout sur leur passage.

Mais ce sont trois autres albums qui apparaissent comme les fleurons du label en ce début d’année. J’étais très réservé à l’annonce d’une œuvre de Hans Ulrik (Suite Of Time) devant célébrer le 75ème anniversaire de la fameuse église Grundtvig construite au nord-ouest de Copenhague dans le chaos de l’entre-deux guerres. Je craignais une sorte de messe jazz à la solennité pompeuse mais le saxophoniste danois n’a en rien compromis son intégrité artistique, réalisant un petit bijou superbement composé et arrangé pour un quintet auquel vient se joindre Marilyn Mazur dans plusieurs morceaux. Simple et authentique. Même heureuse surprise pour un duo réunissant deux musiciens de deux générations successives : Ole Kock Hansen est un pianiste phare de la scène danoise depuis les années 60 et Thomas Fonnesbaek, de trente ans son cadet, est un contrebassiste dont le talent immense, à moins de quarante ans, ne cesse de nous étonner. L’ombre de Niels Henning Orsted Pedersen (ami d’enfance du premier et mentor du second) plane sur cet enregistrement (Fine Together-Nordic Moods) où une sorte de perfection musicale se conjugue à une émotion profonde pour notre plus grand bonheur. Enfin, un trio de haute lignée composé du jeune pianiste américain Aaron Parks, de l’incontournable Fonnesbaek et du batteur Karsten Bagge. Ils se sont rencontrés à l’été 2014 au Danemark et on se demande comment ils ont pu sur le champ établir une telle connexion musicale, nous rappelant quelques grands trios de ces vingt dernières années. Grande intelligence harmonique, haut niveau de créativité, plasticité pleine d’élégance et, sans doute, magie d’une rencontre pleinement réussie entre trois grands musiciens pour un Groovements qui n’a pas volé son titre. Le tout avec une qualité de prise de son qui ravira les audiophiles. Vive les labels indépendants !

Philippe VINCENT

Stunt Records / Distribution Una Volta Music

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