Ce quartet l’affiche ; le nom qu’il s’est choisi n’en fait pas mystère : le jazz est son élément naturel. Le jazz comme on l’entend, celui qui coule de source, une source devenue intemporelle, fixée au travers de divers réaménagements du tronc commun du « jazz moderne », donc un fond de bop apprivoisé, des accents, des déviations venues des années soixante formant à force le mainstream dans lequel, depuis, avec l’adjonction d’éléments pop dans les décennies suivantes, a baigné un jazz qui ne prétendait rien révolutionner, et qui du coup s’est conservé dans un corps sans âge. Le malheur veut qu’il soit sans âme non plus. Au pire cela a donné un easy listening FMisé, au mieux un miroir tendu aux jazzophiles qui y prennent ce qu’ils veulent en se souvenant de leurs premiers émois. Autant dire qu’il ne faut ici attendre aucun débordement, le jazz est une langue que l’on parle avec un grand souci de correction ; on ne réformera pas son orthographe. Ceci dit pour prévenir.
Jazz à part, le naturel connote ce qu’il reste de simplicité quand tout, alentour, relève d’une sophistication de plus ou moins bon aloi. Ceci admis, on pourra goûter sereinement une approche claire, aérée, fluide. Berçante. L’équilibre y est de rigueur et il est réalisé, entre un piano qui ne cherche pas midi à quatorze heures et une guitare qui se présente nue, directe, dépouillée de voyants artifices ; entre ces deux-là et une rythmique sage qui veille à ne pas empiéter sur l’espace que se partagent équitablement des solistes à l’aise dans leur rôle, celui de faire chanter les harmonies. Et si, à l’occasion, cela chaloupe un peu parfois, il n’y a pas risque de chavirage. C’est en douceur, presque en douce, que la musique se prend à tanguer (Inner song n°1) adoptant l’aisance souriante et mentholée d’un Pat Metheny (or c’est un thème du bassiste) dont on retrouvera souvent les tournures enchantées.
Ce qu’on ne trouvera pas dans Premier élément, ce sont ces clichés rabâchés, ces tours usés jusqu’à la corde, ces tournures toutes faites, en somme tout ce qui plombe définitivement les neuf-dixièmes du jazz de série. Ces quatre comparses ont visité en d’autres temps d’autres contrées ; ils ne sont pas nés de la dernière pluie. Retourner à cette lingua franca exprime davantage un choix qu’un paresseux pis-aller. Cela s’entend dans l’écriture (tous les thèmes sont des originaux), dans le choix des notes, celui des carrures et celui des tempos. C’est alors une autre oreille qu’il faut prêter. Si cela semble sage, c’est peut-être qu’il y a, là-dessous, une forme de sagesse.
Philippe Alen