Wild Knots

Silke Eberhard & Céline Voccia

Silke Eberhard (as), Céline Voccia (p)

Relative Pitch records

Date de sortie: 14/07/2023

Silke Eberhard a enregistré l’intégralité du répertoire d’Eric Dolphy. Elle ne sonne pas comme lui, ne le mime pas, mais elle entretient une proximité avec un trait de son jeu partagé par Anthony Braxton : un goût pour les grands intervalles. Avec un timbre mat, un son droit, une quasi absence de vibrato, elle peut être volubile et fantasque (Exuberance, Renaissance), rêveuse et attentionnée (Melancholy, Paradoxe, For Uli), passer d’un registre à l’autre, elle demeure constamment narrative. Son éloquence est mélodie, sa retenue également. Au piano, Céline Voccia n’accompagne ni ne dialogue véritablement, elle réfléchit. En tous sens. Il y va d’une méditation qui croise à part soi les lignes tracées au saxophone, les capte allusivement, déformées, les glose, les retourne en contrepoint serré. Souvent, ce qui s’échappe à la main droite est cloué à la main gauche d’un accord ferme qui se répète de loin en loin. Une façon de ramasser un petit caillou semé en chemin par Cecil Taylor. Et puisque nous y sommes, les cinq premières notes qui ouvrent l’album n’ont-elles pas le caractère impératif de celles de Parker’s mood ? Trois noms propres déjà ? Signes seulement que dans la générosité de ces plages, leur allant ; quelque chose s’est déposé d’une histoire, qui, en décantant, allège et rend libre. C’est pourquoi dans le tissage serré de la pièce initiale (Exuberance) passe pourtant le vent du grand air, celui qui, cascadant, fait tourner les pièces d’un mobile comme les ailes d’un moulin. Un déroulement dense admet un silence, bref et subit, s’achève morcelé. Le passage central d’Indécision, en contraste avec la pluie dispensée du clavier et un retour agitato, est une magnifique errance nocturne où le cordier est d’abord sollicité en écho aux sons soufflés, feutrés, de tubes et de tampons qui cherchent une issue à tâtons. Le paradoxe de Paradoxe est celui d’une confidence au grand jour, d’une méditation qui se livre à haute voix, d’un soliloque à deux, d’une intimité exposée, drapée de voluptueux enroulements, que sa pudeur seule protège couchée dans un solo de piano doux et grave. Accents que l’on retrouvera dans un Melancholy où le piano commente de loin une émouvante songerie éveillée.Dans Gemini, on repèrera, incognito, maintes réminiscences – Parker, Monk… bribes et progressions –, de tendres convulsions, une âpre discussion résolue en un alanguissement soudain. Rien n’interdit de voir en ces jumeaux des siamois discutant leur sort fatal.

Une fois n’est pas coutume, la boîte de Pandore des noms propres étant ouverte, s’en échappe celui de ces devanciers qui, il y a trente ans, s’étaient livré à un duo auquel on ne peut que penser : Marylin Crispell et Tim Berne, au moins pour sa partie la plus improvisée1. Ceci dit pour être aussitôt oublié. On pourrait aussi penser au duo de l’éclair et du tonnerre, à celui de l’ombre et de la lumière.

Philippe Alen

1For Alto and Piano II in Inference (Music and Arts CD-851, 1992)

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