Le compositeur franco-ukrainien Dimitri NAIDITCH a déjà une longue et fructueuse carrière derrière lui. Né à Kiev en 1963, il bénéficie d’un enseignement classique avec sa mère Nina, professeur de piano réputée, mais s‘intéresse très tôt au Jazz. En 1988 il remporte le Concours National de Piano de Vilnius et l’année suivante le concours international de Kalis en Pologne. Il s’installe en France en 1991 où depuis 1994 il enseigne au Conservatoire National Supérieur de Lyon.
Il enregistre son premier album en solo en 1996, dirige le festival d’Annonay, se produit avec de grands orchestres symphoniques, accompagne des musiciens de Jazz dont le regretté Didier LOCKWOOD (1956-2018), qui deviendra un ami, travaille autour du folklore Ukrainien revisité par le Jazz pour différents spectacles, compose de la musique de films, donne de multiples concerts autour de Mozart ou Jean Sébastien BACH et du Jazz, anime des master classes, enregistre de nouveaux disques.
Dimitri NAIDITCH est un grand spécialiste du mélange classique-Jazz, une tradition qui remonte aux tous débuts du Jazz, la réinterprétation « jazzy » de certaines mélodies classiques généralement assez connues n’a rien de nouveau dans la riche aventure du Jazz et a même donné un nom à ce mouvement dans les années 1950, le Third Stream, incarné notamment par le compositeur américain Gunther SHULLER (1925-2015).
De nombreux musiciens de Jazz se sont essayés au mélange classique-Jazz, parmi lesquels Duke ELLINGTON (1899-1974) avec ses suites sur « Peer Gynt » et « Casse Noisettes », on se rappelle du sextet raffiné du contrebassiste John KIRBY (1908-1952), des interprétations époustouflantes de virtuosité stride du pianiste Donald LAMBERT (1904-1962) autour de thèmes d’opéras (1941), hélas trop rarement enregistré, du pianiste virtuose Art TATUM (1909-1956) qui faisait l’admiration de Vladimir HOROWITZ, Gil EVANS (1912-1988) avec Miles DAVIS (1926-1991), plus près de nous le pianiste Jacques LOUSSIER (1934-2019) s’en est fait une spécialité dès son premier disque « Play Bach » (1959) qui connut un énorme succès.
« SoLiszt », hommage au grand compositeur et virtuose hongrois Franz (Ferenc) LISZT (1811-1886), est donc le troisième album que Dimitri NAIDITCH consacre au mélange des genres, après deux disques consacrés à Bach et Mozart. [voir la chronique de Laurent BONNEFOY à propos de l’album “Bach Up”]
Franz LISZT dont la vie agitée fut un roman, est l’auteur d’une œuvre colossale, gigantesque, démesurée*, ayant abordé essentiellement les compositions pour piano dont il fut un virtuose époustouflant, techniquement très difficiles et exigentes, une véritable star de la période romantique qui déchainait les passions lors de ses nombreuses tournées et faisait se pâmer les dames, comme aujourd’hui certaines stars de la pop ou du rock.
Une dizaine de pièces de LISZT réinventées, arrangées, recolorisées avec respect et inventivité dans une douce couleur Jazz, composent ce très bel enregistrement qui mélange avec habileté la forme classique et l’improvisation.
Deux pièces de LISZT qui ouvrent et clôturent l’album sont jouées dans leur état d’origine, la « Vallée d’Oberman » qui fait partie des « Années de Pèlerinage », et le « Sonnet de Pétrarque ».
« Ma Campanella », inspirée de la célèbre pièce du violoniste et compositeur italien Nicolo PAGANINI (1790-1848), recomposée par LISZT en étude, et par Dimitri NAIDITCH qui lui donne une tonalité Jazz des plus subtiles, délicatement secondé par le bassiste Gilles NATUREL et le batteur Arthur ALARD essentiellement aux balais qui interviennent sur certaines pièces avec grande discrétion ; « Rêve d’Amour » inspiré par « Lieberstraum », devient « Trève d’Amour », secondé par une discrète pointe de melodica et d’électronique, suivi par une improvisation délicate en arpèges sur le thème « En Rêve », un nocturne ; « Méphisto Valse » au ton plus dramatique devient « Méphistouchka » sous les doigts du pianiste qui fait résonner son piano ; « Constellation », en trio, plus apaisé, avec une belle intervention en solo du contrebassiste Gilles NATUREL, est suivi par une « Improvisation sur « La Cloche Sonne » en solo ; « Vieille Romance » – (« Romance en mi mineur ») en trio, longue interprétation, précède une relecture bondissante en trio signée « Contestation » inspirée de « Constellation n° 3 », avant dernière pièce du récit construit autour du génial Franz LISZT.
Le piano de Dimitri NAIDITCH, servi par une technique impeccable, harmoniquement riche, est captivant, toujours lyrique, de bon goût, plein de sensibilité et de délicatesse.
Un concept très réussi proposé par Dinai Records, une nouvelle façon d’interpréter les grandes œuvres du répertoire classique avec la présence de l’improvisation, un disque formidable, très bien enregistré, enthousiasmant, hautement recommandable pour découvrir un musicien attachant et de très haut niveau.
Michel d’ARCANGUES
*L’intégrale de l’œuvre pour piano de Franz LISZT en 99 disques (!) a été enregistrée sur 15 ans ( !) par le grand pianiste australien Leslie HOWARD pour Hyperion Records.