Rossignol ne désigne pas seulement un oiseau, c’est aussi le nom d’un petit village d’irréductibles wallons situé au sud de la Province du Luxembourg, dans lequel se tient chaque année en août un festival de jazz. Cet été, pour sa 38ème édition, vingt-quatre concerts étaient programmés du 12 au 14 août, réunissant des artistes outre Quiévrain et internationaux. En effet, Jean-Pierre Bissot, fondateur et directeur du festival, a pour habitude de chercher et de repérer des musiciens aux projets innovants et ce, par delà les frontières. A chaque fois, c’est pour moi l’occasion de découvrir moult artistes et créations, que l’on n’a pas forcément l’occasion de voir dans notre hexagone.
De ma plume, laissez-moi vous livrer quelques commentaires sur les concerts auxquels j’ai eu le plaisir d’assister, et qui je l’espère vous donneront à votre tour l’envie de vous rendre en terres gaumaises.
Vendredi 12 août. Inauguration du festival à 18h.
Antonio Serrano quartet
Une première belge pour ce quartet espagnol qui rend hommage à Toots Thielmans à l’occasion de son centième anniversaire. Certes, il n’est guère aisé de résumer en deux sets très courts la carrière prolifique de l’harmoniciste qui avait démarrée à la fin des années 40 ! Raison pour laquelle le choix des morceaux se doit d’ être judicieux. Bonne connivence entre les membres de ce quartet. Entre autres, nous entendons « Harmonica Rag » ; « Soul Station » qui font partie de l’album « Tootsology » sorti en 2020. Pour terminer- dommage, on en voudrait encore !- une version salsa de « Bluesette » que le public reprend en chœur.
Music for Trees
Un nouvel hommage, cette fois-ci dédié à Garrett List , artiste américano-liégeois décédé en 2019. Ce dernier a marqué la scène new-yorkaise , à l’instar de John Cage et Allen Ginsberg, et sa biographie en dit long. « Music for Trees » est une composition écrite entre 1986-1989 qui a été retrouvée par hasard sur le disque de son ordinateur. En 2010, il avait fondé son dernier orchestre auto-géré etdédié à la création musicale : l’ « Orchestra Vivo ! » rassemblant 30 musiciens où chacun pouvait s’exprimer dans tous les styles.
Garrett qui avait passé la moitié de sa vie aux Etats-Unis se qualifiait lui-même de « City Boy », néanmoins il adorait la nature et flânait souvent dans les parcs, tant et si bien qu’il finit par tomber amoureux des arbres. Voici ce qu’il en disait lui-même :
« Il y a un autre acte dans cette pièce de théâtre, dans ce drame de l’humanité. Les arbres sont redevenus nos frères, nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous. Pas de nous tels que nous sommes mais de nous dans une nouvelle peau. Pas le nous de l’être humain égoïste et égocentrique, mais de l’être humain ouvert aux autres, ouvert au monde, qui se perçoit comme partie de l’univers et comprend sa fonction dans l’univers. L’être humain qui n’est pas seulement au service de lui-même, mais au service de la totalité »
Belle philosophie, tellement actuelle ! L’œuvre est en fait constituée de 24 pièces qui correspondent aux 24 heures d’une journée. Chacune est consacrée à une espèce d’arbre. Vu que le compositeur ne souhaitait pas que ces pièces soient jouées dans leur intégralité, nous en avons écouté sept. Systématiquement, un lieu et une heure précise sont indiqués.
Se sont succédés respectivement « le hêtre pourpre –Autriche-16h» ; « le magnolia-Asie -00h » ; « le noyer blanc d’Amérique-Kentucky-18h » ; « le cyprès-Louisiane-22h » ; « le palmier-Hawaï-3h » ; « le pommier-NY-23h » et pour clore « l’eucalyptus-Australie-20h ».Tentez cette expérience très originale, en imaginant chacun des tableaux. Une invitation à la réflexion, tel était l’objectif du compositeur.
Dans le cadre du Festival, 34 musiciens professionnels étaient sur scène, tous arborant un accessoire vert. La direction artistique a été confiée à Adrien Lambinet et Manu Louis, deux musiciens avant-gardistes faisant côtoyer musique classique, contemporaine, électronique, new beat, art pop etc. Effectivement, nous sommes tout ouïe dès la première pièce qui démarre avec une longue introduction au saxophone alto pendant que tout le reste de l’orchestre attend, puis vient un synthétiseur, tout d’un coup émerge la voix de la chanteuse installée juste derrière les violonistes. Dans « le cyprès », un rythme reggae relaye le début austère, le guitariste se met à chanter ; c’est au grand galop que démarre « le Pommier » agrémenté d’une clarinette aux accents blues. Bon. Je ne vais pas tout vous conter ; encore une fois, à vous d’écouter, de fermer les yeux et contempler. Ma foi, chacun son ressenti !
Ah oui, me direz-vous, peut-on vraiment parler de jazz ? Où se trouvent les limites ? Il s’agit là d’un autre débat. En tout cas, m’est avis qu’il existe un point d’intersection indéniable : la recherche de liberté justement.
Fabrice Alleman « Together in spirit » : Evidence
Carte blanche n°1 à Fabrice Alleman qui est à l’honneur puisqu’ il a été programmé à trois reprises sur les trois jours du festival. Ce premier projet « Evidence », écrit pendant la période de confinement, s’inspire du monde de Chet Baker, dont la simplicité des lignes mélodiques touche les cœurs. N’est-ce pas essentiel en musique ? Et même, une évidence ? En outre, ce n’est pas un hasard que Fabrice se soit entouré de JL Rassinfosse et P Catherine, ces deux-là avaient joué au côté du trompettiste pour l’album « Crystal Bells » sorti en 1983 chez Igloo.
En cette soirée sous le chapiteau, le public réserve un chaleureux accueil au saxophoniste montois qui fait des traits d’humour malgré le retard – les bénévoles finissent les derniers réglages. Une fois la balance terminée le trio démarre avec « Long Road », une composition de Fabrice créée pour un court-métrage évoquant le chemin des femmes en quête de libération. Magnifique sonorité veloutée du sax soprano qui continue de chanter sur une chouette composition de Nicolas Andrioli. Ensuite Fabrice ironise « Just take it as it is, dans ce monde de brutes », afin d’annoncer le dernier morceau interprété par le trio… avant l’arrivée tant attendue de Philip Catherine.
D’aucuns partageront cette opinion : Philip Catherine est le guitariste de référence, il n’a pas d’âge. Indéniablement, quel jeu, quelle sensibilité. Ses notes résonnent avec délicatesse pour interpréter « Clément », en référence à son petit-fils.
Puis, c’est au tour du saxophoniste d’interpréter « Assise » -une ville sise au centre de l‘Ombrie-,surtout un clin d’œil à sa compagne italienne. Très beau solo de Nicola, lui-même natif de Brindisi. D’ailleurs, après de brillantes études pianistiques au conservatoire de Bruxelles, on le compte parmi la scène marquante du jazz belge.
Superbe introduction du standard « Body & Soul »par Philip. Puis « Spirit », thème fédérateur du triptyque ; un « Fried Bananas » conduit avec allant par la guitare. Evidemment, les quatre artistes sont rappelés, Philip Catherine en douceur égrène le début d’une mélodie que le public reconnait et chante aussitôt. Il s’agit du « Banc Public » de Brassens. Vraiment un superbe concert hors du temps.
Samedi 13 août. A partir de 15 heures.
Grand Picture Palace
Un projet autour de la contrebassiste flamande Anneleen Boehme agrémenté d’un quatuor à cordes. Bel équilibre de l’instrumentation tout en nuances. Quelques titres que j’ai pu retenir : « Caroussel » ; « Lucie » ; « Madeleine » (sa fille). Le dernier morceau qui démarre en pizz nous emmène crescendo jusqu’à une véritable explosion finale.
En somme, une alternance d’atmosphères un peu mystérieuses et de passages plus énergiques. Ajoutons l’enchevêtrement bienvenu de sonorités des cordes et instruments à vent. Un éclectisme nuancé qui rend les compositions d’Anneleen stimulantes.
Mathias Levy Trio (FR) « Unis Vers »
Le concert a lieu dans une église à deux pas du site festivalier, rien de tel pour mettre en valeur la sonorité des instruments dans cet écrin ecclésiastique. Nous sommes conquis dès le premier coup d’archet, incontestablement Mathias Lévy mérite le violon Pierre Hel de Stéphane Grappelli qui lui a été confié ! L’artiste se nourrit de diverses influences pour ce répertoire solaire et poétique. Tout d’abord « Unrequired » de Brad Meldhau ; « Unis Vers » titre éponyme de l’album sorti en 2019, s’inspire de la musique indienne ; « Rêve d’éthiopiques » ; pour terminer une composition du contrebassiste « Home de l’être » (notez le jeu de mots !). En somme, beaucoup d’élégance à l’écoute de ce trio, un mélange original des timbres en alliant l’accordéon, le tout nous emmène dans un voyage en des contrées lointaines parfois à la frontière du baroque.
EYM trio feat Varijashree Venugopal
Une prestation décidément forte originale du trio EYM, un groupe de jazz français originaire de Lyon. Lors de leurs tournées en Europe et en Asie, ils s’inspirent de musiques venues d’ailleurs et du folklore. Notamment, parmi leurs invités précédents, l’oudiste égyptien Mohamed Abozekry, l’accordéoniste tzigane Marian Badoï, et sur leur troisième album « Sadhana », la chanteuse Mirande Shah (de Bombay).
Or cet après-midi, nous sommes sous l’envoûtement de la jeune chanteuse indienne Varijashree Venugopal dont la voix s’envole en mélopées gracieuses et nous diffuse des notes jazzistiques au parfum d’orient. Plusieurs titres anciens et nouveaux : « Borders » ; « Namaste » ; « Emile » ; « No Madness »; « I’m traveling alone »- une composition du batteur globetrotteur ; plus une chanson locale du sud de l’Inde au sujet de Khrishna ; « Bangalore », la ville où le groupe a rencontré la chanteuse. Lors du rappel, cette dernière déploie son talent de musicienne en soufflant dans sa flûte, faisant preuve d’une grande agilité et vélocité.
L’ensemble nous convie à un véritable voyage, d’ailleurs l’atmosphère se prête bien à la canicule ambiante qui règne sur le site du festival depuis plusieurs jours. Les spectateurs sont conquis.
Fabrice Alleman « Together in Spirit » : Life spirit « Now »
Carte blanche n°2 pour le saxophoniste qui nous présente lui-même son projet : une réflexion sur la planète, sur les urgences sociales et environnementales. Pour cela il s’entoure de cinq musiciens internationaux.
La deuxième partie de ce triptyque diffère totalement de celle de la veille de par sa formation. Nous voici dans une ambiance groove qui accueille aussi le rappeur américain EJ Strickland.
Une prestation très engagée donc, puisque Fabrice Alleman, armé ce soir de son soprano et de son saxophone ténor, nous présente les titres des morceaux. Dans l’ordre : « Now » ; « Diversities », et « Spirit »( toujours le même fil conducteur) dont le thème est introduit au sax et à la trompette. « Eh bah bravo » illustre les attentats, l’introduction au ténor qui pleure littéralement se passe de commentaire! De même, si « Fears » dénonce les peurs inutiles, que le chanteur slamme avec un vent de colère, la participation des enfants du chœur « les Petits Gaumais » nous apporte un élan d’innocence et une lueur d’espoir. Il est necessaire de bouger corps et esprit, selon Fabrice, ainsi le morceau « Move » vient naturellement clôturer le concert. Attention, restons bien éveillés ! Rendez-vous dimanche pour la troisième partie !
Son dernier volet qui s’intitule « Voices Spirit -From one …to All » sera joué en l’église du village, il donne la part belle à la voix en soulignant son caractère universel, véhicule d’émotions Tout d’abord, Fabrice chantera en solo, avant d’être rejoint par 3 voix, le point d’orgue sera la complicité du public.
Stracho Temelkovski & the sound Braka
Veronique Pinon, texte et photos