"Forêt Lacandone"

Jean-Pierre Jullian Quintet

Jean-Pierre Jullian (percussion, composition, direction), Claude Tchamitchian (contrebasse), Guillaume Orti (saxophones : alto, barytton), Tom Gareil (vibraphone, marimba), Étienne Lecomte (flûtes : traversière, basse et piccolo)

Mazeto Square

Date de sortie: 22/04/2022

Forêt Lacandone  ou comment savoir si on est zapatiste en seize morceaux.

Jean-Pierre Jullian se définissant comme cuisinier par gourmandise, il n’est pas surprenant qu’il fasse ses confidences le mercredi 16 septembre 2020, au dîner de l’excellente cantine du festival Les Émouvantes.

Après sa performance “Fil d’ombre” avec son compère Tom Gareil (ouvrant ainsi l’édition 2020 du festival), le musicien explique à la tablée l’inspiration que lui suscite la lutte du sous-commandant Marcos.

Un de ses amis lui a fait découvrir le “sous-commandant Marcos ”, militant altermondialiste mexicain, porte-parole de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN).

Forêt Lacandone est la troisième création du percussionniste occitan, en hommage à celui qu’Ignacio Ramonet nomme le “vengeur masqué” dans son livre “Marcos, la dignité rebelle, Conversations avec le sous-commandant Marcos” (Éditions Galilée).
Le sémiologue/journaliste espagnol, auteur du livre, aide à comprendre “comment tous ces jeunes qui, de Seattle à Québec, s’insurgent contre les méfaits de la globalisation, ont fait de Marcos leur “vengeur masqué”, leur grande référence politique et leur héros mythique.” Aussi rien de surprenant que Jean-Pierre Jullian soit fasciné par le personnage mexicain.

C’est en 2010 qu’il compose EL SUB “Partition en hommage au sous-commandant Marcos, insurgé et résistant depuis les montagnes du Chiapas au Mexique”.

L’historien Jérôme Baschet, spécialiste du zapatisme, décrit la particularité de cette lutte: Le premier janvier 1994, le “Ya Basta” (soulèvement zapatiste), répond à l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre-échange Nord-Américain (ALENA), qui va desservir les petits producteurs de la zone du Chiapas, la région la plus pauvre du Mexique. Les zapatistes envahissent cinq villes du Chiapas, pour faire entendre leur désaccord et lancer un appel contre le néo-libéralisme. Douze jours plus tard, le gouvernement mexicain accepte d’ouvrir des négociations avec ce mouvement armé. Comme ces négociations ont des difficultés à être appliquées, le mouvement met en place de nouvelles façons de se gérer.

Cette chronique n’est pas le lieu pour exposer les différentes initiatives mises en place, les grandes idées sont : “Caminar preguntado” (Avancer en posant des questions) et “Le peuple commande et le gouvernement obéit”. 

Ces deux phrases s’appliquent au travail de création de Jean-Pierre Jullian, dont les compositions, toujours en recherche d’inspirations, emmènent les auditeurs dans ses pérégrinations,  mariant personnage imaginaire “Maqroll el gaviero” le “héros” fictif de l’écrivain Mexicain d’origine Péruvienne Alvaro Mutis et le militant altermondialiste mexicain.

L’écoute des morceaux de l’album, montre que dans Forêt Lacandone, “La musique commande et les musiciens obéissent”. Les cinq musiciens ne sont pas là pour prendre le pouvoir, mais pour servir la musique, notion chère aux zapatistes qui œuvre pour la création du pouvoir d’en-bas, “Nous voulons avant tout la paix. Je le répète, nous ne voulons pas le pouvoir, ni même devenir un parti politique. Il y en a déjà assez.” 

Dans ce nouvel album, aucun titre évocateur, tous les morceaux se nomment “mouvement” suivi du numéro de la piste, le percussionniste rend hommage au sous-commandant Marcos par la musique, les arrangements, les harmoniques et les ambiances sonores. Cette fresque sonore représente la forêt Lacandone, dont la superficie de deux millions d’hectares, abrite “la biosphère des Montes Azules”.

Chaque morceaux propose un voyage initiatique. Aucun morceau ne ressemble à un autre, aucune normalisation, chaque piste est une création à part entière, comme les zapatistes qui luttent également contre “les aspects de la globalisation qui paraissent, à priori, si éloignés du combat pour la cause indigène.”

Les détracteurs du mouvement zapatiste minimisent l’impact du EZLN sur le mondialisme capitalisme, le sous-commandant Marcos répond “c’est aussi en lançant des idées rédemptrices, des phrases de liberté et des anathèmes terribles sur les bourreaux du peuple que s’effondrent les dictatures, que s’effondrent les empires.”

Cela s’applique également à la musique de Jean-Pierre Jullian: l’auditeur n’est pas le même à la fin de l’écoute de Forêt Lacandone, il est enrichi d’une expérience sonore singulière.

Pour en avoir la certitude, il suffit d’exécuter ce que conseille le sous-commandant Marcos : “si tu veux savoir qui est Marcos, qui se cache sous son passe-montagne, prends un miroir et regarde-toi, le visage que tu y découvriras, c’est celui de Marcos. Car nous sommes tous Marcos.”

Jean-Constantin Colletto, texte
Jean-Yves Molinari, photos

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