Pour cette cuvée 2022 du festival de Junas , Florence Ducommun [FD] bénéficiait du renfort de J.Paul Gambier [JPG] et de Luc Bouquet [LB]. Deux objectifs et trois plumes pour vous rendre compte de cette édition dédiée à la scène Jazz britannique.
Mardi 29 juillet [JPG]
Certaines formations ont une telle notoriété que leur programmation suffit à justifier à elle seule une soirée de festival.
C’est bien le cas du Trio de Dave Holland avec Chris Potter et Zakir Hussain.
Légende du jazz contemporain, le contrebassiste avait choisi Junas pour terminer sa tournée d’été européenne. Bien nous en a pris.
D’une maitrise et d’une musicalité intactes à la contrebasse, il mène le Crosscurrents Trio avec subtilité, dans la complicité et le respect des sensibilités de ses deux partenaires. Zakir Hussain assure avec Dave Holland un écrin rythmique mettant en valeur le jeu de Chris Potter, particulièrement généreux.
Un concert-plaisir pour le public comme pour des musiciens aux regards complices. Comment mieux terminer une tournée que lors d’une soirée sous les étoiles des Carrières du Bon Temps, sans la pression du lendemain, juste pour le plaisir de jouer avec les cigales.
Mercredi 30 juillet [FD & LB]
A 18h au Temple, joli duo qui fait résonner la musicalité de ce lieu à la voix et à la guitare ; il s’agit d’Olly Jenkins et John Owens, duo anglo-irlandais à l’univers unique et surprenant Il fait très chaud dans le temple rempli de monde qui laisse éclater les couleurs des vitraux dessinés par le batteur Daniel Humair. Il s’y tient d’ailleurs une très belle exposition “Femmes de jazz” à travers le portrait d’une dizaine de musiciennes qui ont participé à la construction du jazz. Les deux musiciens se sont rencontrés à Montpellier où ils habitent depuis plus de dix ans et c’est Olly qui chante la plupart du temps, accompagné de sa guitare acoustique tandis que John pratique l’électrique. Une large tessiture presque cristalline parfois embarque le public très rapidement et nous emmène dans un univers onirique à la Nick Drake ou Neil Young, avec des compositions écrites par le chanteur (The Tide, une autre inspirée par son départ de Manchester, une reprise d’un groupe électro allemand, une improvisation avec le public). Ce fut un concert très applaudi faisant briller les yeux et du duo et du public. [FD]
Cela faisait une dizaine d’années que je n’avais pas entendu John Surman live. En ce temps là, il se produisait en solo et m’était apparu bien fatigué et à court d’idées. Le voir aujourd’hui aussi enjoué et juvénile fait plaisir à voir… et à entendre ! Surman, revenu au jazz, est accompagné par un trio des plus rayonnants. En compagnie d’Alexander Hawkins (oui, celui des duos avec Evan Parker), Neil Charles et Stephen Davis, le voici avec son phrasé unique, voluptueux, souvent riche en harmoniques blessées. Pas de baryton ce soir mais une clarinette basse et un soprano au sommet : sonorité suave, envoûtante, toujours orientée vers un blues made in Surman. Comme Charles Lloyd, Surman semble intemporel, immortel.
Et où l’on découvre un pianiste parfaitement à l’aise dans un cadre jazz (Hawkins : l’un des jeunes loups de l’impro radicale made in England), un contrebassiste astre de justesse dans les ballades (Neil Charles) et un batteur aimant à contrarier les tempos (Stephen Davis au feeling proche du regretté Tony Levin).
Et quand Surman nous offre en rappel le Central Park West du grand Coltrane, l’on chavirerait presque. [LB)
En seconde partie de soirée, changement radical d’atmosphère. On le voit dès l’installation du plateau avec les deux batteries: ça va donner, apparemment. Shabaka Hutchings et son groupe Sons of Kemet monte irrésistiblement depuis une dizaine d’années. J’avais connu le groupe à ses débuts au festival Jazz sous les Pommiers en 2013 qui s’était produit au Magic Mirror et ce fut un gros choc. Shabaka a les dents de la chance et sa formation avec deux batteurs (Tom Skinner et Seb Rochford à l’époque) avec Oren Marshall au tuba avait quelque chose de tribal qui prenait les tripes. Revu à Porquerolles en juillet 2017 dans une autre formation “Shabaka and the Ancestors”, le charme s’était rompu par la violence de son et de ton qui s’en dégageait, tout du moins pour moi. Mais les disques continuaient à me plaire, en particulier dans une autre formation dont il fait partie “The Comet is Coming”. Le troisième disque “Your Queen is a Reptile” m’avait bien séduite aussi, mais le dernier “Black to the Future” moins.
Tout cela pour expliquer que j’avais bien envie de l’entendre à nouveau surtout dans le cadre des magnifiques carrières de Junas. Ses musiciens ont changé : ce sont à présent Theon Cross au tuba avec Edward Wahili-Hick et Jas Kayser aux batteries et percussions. Mais c’était sans compter sur le concert précédent qui était tellement aérien que la transition fut une fois de plus trop brutale, comme à Porquerolles. Vite, les bouchons d’oreille, vite, je m’occupe des photos et malgré cela, la sauce ne prend pas pour moi, mais pas que. Pas mal de gens dans le public quittent l’assistance, tandis que la majorité reste scotchée sur son siège comme hypnotisée par la puissance qui se dégage de l’ensemble et l’aspect répétitif du discours qui ne donne pas dans la dentelle. Bon, j’ai déclaré forfait au bout de trente minutes, ne ressentant aucun plaisir, alors que le but est là, éprouver du plaisir comme pour le concert du quartet de John Surman qui suffira à me nourrir ce soir. [FD]
jeudi 21 juillet [JPG]
Piers Faccini arrive à Junas en voisin, depuis les Cévennes gardoises où il réside depuis des décennies. Il ouvre son concert a capella, mellant aisance britannique et accents de l’italie méridionale, dans le fil chamarré de ses origines. Son répertoire est ouvert au Monde, à l’image de son groupe composé du batteur Simone Praticco, du joueur de mandole et guembri Karim Ziad, de la violoncelliste Juliette Serrad et de la violoniste alto Séverine Morfin. Une musique généreuse et sensible où tous sont partie prenantes à la voix, au delà de leur virtuosité et de leur pertinence à l’instrument.
Un moment de plaisir (à chanter et danser) et d’émotion (textes à méditer), le public ne s’y est pas trompé.
Suivaient, les anglais de Mammal Hands. Les frères Jordan et Nick Smart, respectivement au saxophone et piano et Jesse Barrett, batterie et percussions, arrivent avec leur la force de leur son et la cohérence fusionnelle de leur projet.
Une identité indéniable qui puise ses références dans les musiques soufies et africaines, tout en flirtant avec l’électronique. Un bel engagement, sincère et généreux, qui aurait était parfait en seconde partie de John Surman. En tout cas, une belle découverte pour moi.
Vendredi 22 juillet [FD], je n’arrive qu’en soirée, le groupe Coccolite jouant Place de l’Avenir à 18h étant proposé à l’Avignon Jazz Festival où je vais me rendre prochainement. Hé oui, il faut apprendre à s’économiser sur les différents festivals !
En première partie de soirée, le duo du saxophoniste Andy Sheppard avec la pianiste Rita Marcotulli est perturbé par le Covid qu’a attrapé cette dernière. Je me réjouissais d’écouter cette pianiste magnifique entendue une fois à Rome. Mais nous ne perdons pas au change avec le remplacement au pied levé par le contrebassiste Michel Benita que j’aurai vu souvent cet été. La soirée est filmée par Oleofilm avec deux drones qui survolent le site et en gêneront plus d’un pour ce concert intimiste. Stéphane Pessina le directeur fera d’ailleurs amende honorable à l’entracte pour cette bévue. Rencontre entre deux piliers du jazz européen qui se connaissent bien et manifestent le plaisir de jouer ensemble par de nombreux sourires complices. Ils commencent avec Libertino de l’album “Trio Libero” d’Andy Sheppard enregistré avec Michel Benita et Seb Rochford il y a dix ans, puis continuent avec Ischidatami du même album composé par Michel Benita. Suit une reprise d’Elvis Costello, I Want to vanish et You Go First. D’autres compositions suivent non nommées mais le nom importe peu, ce qui compte c’est le plaisir et la détente ressentie à ce concert en apesanteur.
Les deux amis laissent ensuite la place au Portico Quartet, groupe de quatre musiciens brittaniques dont l’album au nom éponyme sorti en 2012 m’avait beaucoup séduite. Vus au festival de piano de la Roque d’Anthéron la même année (curieuse programmation mal reçue d’ailleurs par les festivaliers), la séduction était retombée. Parfois, comme pour le concert de Shabaka Hutchings, il vaut mieux rester chez soi et écouter sur un bon ampli. Le contraire peut être exact aussi et c’est pour cela que la maxime” Pour aller écouter du jazz, il faut en voir” est bien vraie. Composé de Jack Wyllie (saxophones soprano et ténor), Duncan Bellamy (batterie), Milo Fitzpatrick (contrebasse) et Keir Vine (à partir de 2014, au clavier, au prénom souvent écorché), le groupe en est à son neuvième album “Monument” et remporte toujours un vif succès. Ils commencent par un morceau du disque “Memory Streams”, Signals in the Dusk puis continuent avec Ultraviolet du dernier album. Des nappes électro flirtent avec chaque instrument, c’est assez hypnotique et je dois dire lassant et pas très novateur par rapport à ce qu’ils faisaient avant. Est-ce la fatigue ? Est-ce encore le côté répétitif ? La transition avec le duo précédent ? Ou les spots braqués dans les yeux du premier rang en permanence ? J’avoue ne pas être rentrée dans ce concert une nouvelle fois, seules les photos assez intéressantes m’ont fait rester une bonne partie. Que les fans du Portico et Shabaka Hutchings ne m’en veuillent pas !
Samedi 23 juillet [FD], grosse journée sous la canicule pour le festival qui ne sera pas vue par l’équipe de Jazz’In bien occupée ailleurs. La dernière journée est habituellement réservée à une balade nature le matin qui cette année s’est agrémentée de pauses musicales “Jazz au Féminin” qui était le thème de l’exposition au Temple.
A midi sur la place de l’Avenir a eu lieu un concert de By The Sket avec la voix d’Alima Hamel et la contrebasse de Vincent Ferrand. Une sieste musicale prévue au Temple a sans doute été délocalisée vue la chaleur, tandis qu’à 18h a eu lieu traditionnellement le concert de fin du mini-camp musical mené toujours avec passion par le batteur Samuel Silvant et le contrebassiste Guillaume Seguron mais aussi le slameur ZoB’Bozo et la guitariste et chanteuse Elsa Scapicchi.
En soirée, le vilain Covid ayant encore fait des siennes, c’est le clarinettiste Yom et lepianiste Léo Jassef qui seront programmés en première partie, remplaçant le collectif de dix musiciens anglais “Nubiyan Twist” qui n’a donc pas pu se déplacer. Ils devaient conclure l’édition très anglaise du festival (“La crème du jazz anglais et non la crème anglaise du jazz” comme s’est plu à nous dire malicieusement Stéphane Pessina). D’après ce que j’ai entendu dire, le duo a eu un vif succès en présentant leur disque “Célébration”, certainement un moment de calme également.
A suivi le trio anglais GoGo Penguin que j’avais entendu à deux reprises, au Magic Mirror du Festival Jazz sous les Pommiers à leur début en mai 2015 puis au Jazz des Cinq Continents à Marseille en juillet 2018. Avec Chris Illingworth au piano, Nick Blacka à la contrebasse et John Scott à la batterie qui a remplacé Rob Turner en décembre 2021, ils ont été très vite comparés au trio mythique E.S.T. et au trio allemand The Bad Plus. Personnellement, je trouve qu’ils n’en ont pas l’envergure et surtout le charisme, restant totalement impavides aux concerts auxquels j’avais assisté. Pour le concert de Junas, je ne peux juger. Ils devaient jouer la musique de leur disque éponyme sorti en 2020 sur le label Blue Note.
Voilà donc une 29° édition encore formidable où plus de 6000 personnes se sont rendues cette année. Jazz à Junas est un festival incroyablement vivant, résistant au temps, plein d’entrain dans un lieu une fois de plus magique avec les carrières et les rues portant le nom des musiciens, mené tambour battant par son directeur Stéphane Pessina et toute une équipe de bénévoles passionnés. Rendez-vous l’année prochaine pour les 30 ans du festival, un anniversaire qui promet des moments Jazz exceptionnels !
Florence Ducommun [FD], textes et photos
J.Paul Gambier [JPG], textes additionnels et photos
Luc Bouquet [LB], texte additionnel