Tom Ibarra, génie de la guitare ou musicien accompli ?
Ecrire sur Tom Ibarra présente un écueil : comment éviter de s’étendre sur le statut d’enfant prodige de ce musicien. Homère, le poète grec, nous raconte dans son livre d’aventure l’Odyssée, comment Ulysse évite le chant des sirènes et les rochers, grâce aux conseils de Circé “ Tu ne peux écouter ce chant qu’à une condition : tu devras avoir des bouchons de cire pour les oreilles de tes compagnons. Et ils devront t’attacher au mât du bateau”.
Cet épisode odysséen est à l’origine de l’expression “céder au chant des sirènes” qui veut dire écouter et céder par un discours attirant mais trompeur ou même dangereux (les sirènes démons mythologiques mi-femme mi-animal douée de séduction dangereuse).
Comparer un solo de guitare, même si c’est une “Ibanez”, marque qui a endorsé Tom Ibarra à ses 15 ans, à des démons légendaires, pourrait sembler excessif. Mais l’écoute de la reprise par le jeune guitariste du morceau de Bob Hebb “Sunny” le 14 août 2013, pousserait plusieurs rédacteurs à l’achat de bouchons de cire et de mât de bateau, pour ne pas sombrer à écrire que l’élu de la guitare est incarné dans le corps du musicien hyérois.
Devant ce dilemme, quoi de plus naturel que de demander son avis à l’intéressé, qui avec toute simplicité répond :
“En effet, c’est une remarque très juste puisque la majeure partie des gens se souviennent de la virtuosité et de mon âge, plus impressionnés que touchés musicalement. Bien sûr, ce n’est pas unilatéral mais tout de même majoritaire et surtout applicable à beaucoup de jeunes musiciens, artistes etc. La recherche du “petit génie” ou en réalité de la bête de foire qui fascine et impressionne est souvent recherchée, bénéficie d’une notoriété soudaine et retombe à l’âge adulte”.
Le chant de la virtuosité est, pour Tom Ibarra, l’élément attractif fascinant qui empêche de ressentir le message musical “La question de la sensibilité intervient également car le propos musical plus démonstratif est parfois tout simplement préféré au subtil”.
Les propos du musicien sont confirmés le 22 juillet 2021 au festival Jazz à Toulon, où sur scène le Tom Ibarra Group vient présenter son album “Luma”. Le guitariste est présent comme leader, mais le sextet n’apparait pas comme un faire valoir de l’ex- jeune prodige. Ainsi l’univers singulier et intrigant du groupe peut toucher le public, lentement mais surement tout au long de la prestation. Le concert est agrémenté de solos de l’ensemble des participants, comme celui du batteur Tao Ehrlich où groove et subtilité sont relayés par l’ensemble des compères pour finir en apothéose.
A aucun moment, la virtuosité de l’un des musiciens n’attire comme par ensorcellement les spectateurs. Norbert Elias écrit dans son livre, “Mozart, Sociologie d’un Génie, Paris, seuil, 1991” Le génie est une croyance mystique, où l’artiste est une sorte d’élu, il aurait reçu pour vocation de créer des chefs-d’œuvre…” notion chère à Kant – Emmanuel Kant, Critique de la Faculté de Juger, §46, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 293 (publication originale en allemand 1790) -.
L’impression ressentie lors du concert live du groupe s’explique par le travail commun de l’ensemble des musiciens dans la création de l’album. Tom Ibarra confie “Néanmoins le défi que je me fixe depuis la création de Luma est de faire une musique moins technique et plus simple, tant dans la composition que dans l’improvisation. Je ne bannis pas la virtuosité car elle a son sens dans certains contextes et n’est pas systématiquement dénuée de propos musical, à moi de faire en sorte qu’elle soit cohérente!”
Résultat obtenu, monsieur Tom Ibarra, les solos sont empreints de virtuosité, pour servir le message musical.
Preuve en est la récente invitation de Tom Ibarra au festival de Jazz In Marciac 2022 en guest du concert de Marcus Miller le 26 juillet 2022.
En effet, le bassiste, qui a composé pour Miles Davis, n’a pour habitude de travailler avec “de petit génie”, mais uniquement avec des musiciens accomplis.
“Tom Ibarra Group” le Jeudi 22 juillet à l’esplanade du Zénith de Toulon. Festival Jazz à Toulon édition 2021. Tom Ibarra (guitare) / Jeff Mercadié (saxophone) / Lilian Mille (trompette) / Auxane Cartigny (claviers) / Noé Berne (basse) / Tao Ehrlich (batterie).
Jean-Constantin Colletto