Rencontres fructueuses des imaginaires et des contraintes
L’allocution du premier ministre annonçant la fin du confinement au onze mai 2020 a fait croire à beaucoup que les fonctionnements allaient reprendre comme avant la Covid-19. Mais que nenni dirait Jean de La Fontaine, depuis le onze mai, ce sont vingt-six actions du gouvernement, répertoriées sur le site officiel du gouvernement qui se sont succédées pour “garantir la sécurité sanitaire des Français”.
Aussi quel ravissement, le 6 août 2020 d’apprendre que le festival Les Émouvantes propose un nouveau programme présenté par son directeur artistique : “il est plus que jamais temps de se réinventer. L’édition 2020 du festival des Émouvantes vous conviait à voir et entendre différentes voix parlant toutes de l’extraordinaire énergie issue de la confrontation de nos cultures et de nos imaginaires, si nécessaire à un réel “mieux vivre ensemble” où les remparts contre les différences deviennent absurdes et inutiles. Urgence oblige, et nous ne parlons pas que de la situation sanitaire, il nous a semblé important de faire entendre ces voix et de les porter sur le long terme. D’où l’idée d’une thématique sur 2 saisons.”
L’organisateur a demandé à l’ensemble des musiciens initialement programmés d’imaginer un festival sur deux ans: une esquisse, “en solo ou duo de ce qu’ils proposeront en 2021 avec leurs formations complètes”, puisque le programme initial de 2020 est reporté en intégralité pour 2021.
Le résultat est surprenant et fait dire au fondateur du label Émouvance “Finalement, c’est étonnant de voir comme la contrainte est génératrice de créativité”.
En effet, les duos sont des formules inédites : saxophone-violon avec François Corneloup et Jacky Molard pour des “Danses de l’Inouï”. Le spécialiste de la musique bretonne, sur un délicat hommage au guitariste Jacques Pellen disparu le 21 avril 2020, fait profiter le public de l’étendue de son discours musical, soutenu par la stabilité des sons du saxophone baryton de son compère.
La deuxième formule jusqu’alors peu explorée en musique est le concert de clôture d’Eric Echampard à la batterie et Benjamin de la Fuente au violon. Les deux virtuoses font rapidement oublier qu’ils ne sont que deux sur la scène du Théâtre des Bernardines, tant leur message est riche et dense, ce qui laisse imaginer un concert époustouflant en quartet en 2021.
La notion d’adaptation est chère à Claude Tchamitchian. En 2019, il a même fait référence au naturaliste Charles Darwin: “Pour pouvoir se transformer et s’adapter à ces nouvelles conditions toujours changeantes, il fallait pouvoir imaginer des solutions…, l’art ne cesse de proposer de nouvelles façons de voir, nous permettant d’évoluer et de nous ouvrir au monde.”
La crise sanitaire actuelle semble être un cas pratique, pour confirmer les dires du contrebassiste.
Le premier signe de confirmation de cette évolution est la réalisation de l’édition 2020 du festival, ce que chaque musicien ne manque pas de souligner en début de prestation. Il faut avouer qu’il a fallu une grande détermination pour arriver à produire les huit concerts, “deux jours avant, nous n’étions pas sûrs de faire Les Émouvantes” avoue l’équipe d’organisation.
Les conditions sanitaires sont toutes respectées à la règle, ce qui peut sembler de la rigidité “est une obligation pour la santé de tous”, public espacé, un à deux musiciens sur scène, gel hydro-alcoolique en distribution …
C’est comme si le festival ne pouvait pas être annulé, certains y verront une aide divine, que le duo Duo Naïssam Jalal – Claude Tchamitchian nous offre avec leur version de “Prière” où la chanteuse demande à dieu qu’il la protège d’elle-même, sur des tenues de notes à l’archet.
Pour les plus agnostiques, est-ce l’amour le responsable de la réalisation du festival, amour que le duo Christophe Monniot – Didier Ithursarry, dans leur concert “Hymnes à l’Amour”, revendique en dédicaçant “sans attente de retour”, chacun de leurs morceaux à un être cher?
Mais, si cette chronique était écrite par l’écrivain François Rabelais, celui-ci qualifierait chaque concert de substantifique moelle de chaque artiste. Comme si la Covid-19 avait produit pour chaque concertiste une distillation de son art, un centrage ultime de sa création.
L’ultime message des deux performances solos de David Chevallier à la guitare et Jean-Charles Richard au saxophone, donne à écouter leurs sons intimes, des créations inédites issues de leurs imaginaires extrêmes.
C’est autour du repas que Jean-Pierre Jullian parle de son intime : la lutte et l’action du sous-commandant Marcos est sa source d’inspiration créative.
Le saxophoniste Laurent Dehors, également autour de la succulente table du chef cuisinier du festival, précise que le confinement l’a obligé à ne faire que de la composition. Sa prestation avec Matthew Bourne au piano donne le titre de leur performance “A Place That Has No Memory Of You” (Un endroit qui n’a aucun souvenir de vous), comme si le nouveau apparaissait, et que cet inédit était le fruit du confinement.
Les contraintes et la situation étant si inédites et imprévues qu’elles réclament en réponse des imaginaires aussi surprenants, c’est ce que le festival Les Émouvantes a permis à découvrir cette singulière année 2020.
Maintenant que proposera la deuxième partie de la 8ème édition du festival Les Émouvantes ? Au début de notre ère, le poète Horace répondit à Leuconoé sur la manière d’appréhender la vie: “carpe diem, quam minimum credula postero ” (Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain)
Il ne faut pas voir du pessimisme, mais une incitation optimiste à apprécier et déguster la fructueuse édition 2020 du festival les Émouvantes.
Texte : Jean-Constantin Colletto
Interview, Photos et captations vidéo : Jean-Yves Molinari
Montage vidéo : J.Paul Gambier