TROIS SOIRÉES AU FESTIVAL JAZZ A SAINT RÉMY DE PROVENCE
Le festival Jazz à Saint Rémy existant depuis 14 ans, a tenu sa treizième édition du 15 au 19 septembre dans une ambiance très festive malgré l’annulation de quelques concerts gratuits en extérieur en raison des intempéries. Le temps s’est montré ensuite plus plaisant, permettant d’accueillir les spectateurs en musique sur le parvis de la grande salle de l’Alpilium. Créé à l’initiative de Bernard Chambre et Alain Brunet, présidé par Gilles Rivalland et animé par toute une équipe de bénévoles extrêmement motivés, ce festival se déroule habituellement en deux temps, d’abord mi-juillet avec une soirée Jazz sous les Etoiles puis fin septembre avec trois soirées que voici cette année.
Jeudi 16 septembre, le sextet de la chanteuse Natacha Atlas ouvre le bal pour jouer son dernier et bien nommé opus sorti en 2019 « Strange Days ». Accompagnée de Samy Bishai au violon, Marion Ruault à la contrebasse, Elie Dufour au piano, Camille Passeri à la trompette et Asaf Sirkis à la batterie, je suis restée partagée devant ce concert que j’attendais, la réputation de cette chanteuse d’origine égypto-anglaise n’étant plus à faire. Ayant été souffrante il y a un mois nous dit-elle, elle épargne sa voix tout au moins lors du premier set qui peine à démarrer. Elle chante une musique mêlant jazz et tonalités orientales, exprimant comme elle le précise son hybridité et sa dualité entre le Moyen-Orient et l’Europe. Elle a effectivement collaboré avec tant de musiciens (Paolo Fresu, Omar Sosa, Peter Gabriel ou dernièrement Ibrahim Maalouf pour ne citer qu’eux), que ses compositions sont très élaborées et ses échanges avec son compagnon dans la vie le violoniste Samy Bishai, très intenses. Elle chante les compositions bien sûr de « Strange Days » mais aussi certaines d’autres disques comme Voyager, chanson d’espoir, de son disque « Myriad Road » sorti en 2015. Le second set heureusement sera nettement plus chaleureux, enlevé et fougueux (All The Madness), agrémenté d’anecdotes et d’explications pleines d’humour de Samy Bishai qui parle à sa place. Un magnifique rappel sur un titre de James Brown, It’s a Small World voit enfin la chanteuse se lâcher totalement, finissant le concert en apothéose, accompagnée de musiciens merveilleux (avec trois changements de line-up) et concluant ce concert un peu en demi-teinte…
Vendredi 17 septembre, honneur encore aux femmes en première partie de soirée avec Bloom, quintet de choc, composé de trois chanteuses, Laurence Ilous, Melina Tobiana, et Léa Castro avec Arthur Henn à la contrebasse et Damien Françon à la batterie remplaçant Ariel Tessier. Bloom , un nom parfait pour ce groupe puisqu’il signifie « Floraison, Eclosion » et que l’entrée en scène de ce trio de robes colorées de fleurs, de rouge et de vert plein de vitalité donne le ton. On est littéralement emporté dès que les premières notes fusent sur l’album « Dièse 1 » sorti en 2019. Voilà des chanteuses parfaitement accordées, aux voix complémentaires, pétillantes, souriantes, pleines de peps et de charme ! Elles savent passer d’un style à l’autre avec tantôt des compositions personnelles pleines de malice (Drinkin’or Drivin’), tantôt de superbes reprises assaisonnées à leur goût comme Throw it Away d’Abbey Lincoln, Canto de Ossanha de Baden Powell en brésilien s’il vous plaît ou le final explosif Don’t Cry for Louie de Vaya con Dios qui reprennent de la couleur et emportent un public conquis par le talent incontestable de ce trio laissant aussi une belle place au contrebassiste et au batteur. Ces derniers se joindront en rappel aux trois chanteuses pour un Let It Shine éclatant. Bref, Bloom fut une belle surprise pleine de tonus et de fraîcheur, comme une version moderne des Andrew Sisters !
En seconde partie de soirée, le très attendu trompettiste Paolo Fresu fait son entrée entouré en trio des renommés pianiste Dino Rubino et contrebassiste Marco Bardoscia pour célébrer Chet Baker à travers son opus intitulé « Tempo Di Chet ». Qui mieux que Paolo pouvait nous faire revivre la magie de la trompette de Chet ? Il avait déjà tenté l’expérience avec succès en compagnie de l’autre célèbre trompettiste italien Enrico Rava dans « Shades of Chet » fin des années 90. C’est dire s’il maîtrise cette musique ! Le concert débute dans la quasi obscurité avec Dino Rubino (également trompettiste à ses heures) sur Funny Valentine, un des standards préférés de Chet qui affectionnait cette formule de trio sans batterie. Alterneront d’autres standards avec des compositions originales dont celle en particulier inspirée par le séjour tout à fait inattendu du trompettiste sarde dans la même chambre où demeura Chet à Lucca en Italie, la chambre numéro 15 de l’hôtel Universo. Lucca où Chet fut emprisonné pour trafic de stupéfiants en 1961. D’où cette composition particulièrement poignante Hotel Universo… Avec un contrebassiste en accord parfait avec le trompettiste bugliste qui vit intensément la musique de Chet et un pianiste en symbiose aérienne et poétique tout en introspection, le trio nous fait décoller et quitter la terre pour rejoindre Chet dans les nuages avant de redescendre difficilement sur terre sur un rappel de Ce n’est qu’un au-revoir décomposé recomposé métamorphosé…. Un moment magique ce soir-là que le public acclamera longuement !
Samedi 18 septembre, le contrebassiste américain Ron Carter et son Foursight Quartet arrivent tout droit des Etats-Unis pour sa tournée européenne débutant à Saint Rémy de Provence à guichet fermé pour une seule date en France faisant de nous des privilégiés ! Et il ne fallait pas louper ce contrebassiste de légende ayant accompagné en particulier Miles Davis cinq ans et participé à plus de 2500 enregistrements ! Accompagné de Jimmy Greene au saxophone, Payton Crossley à la batterie et Donald Vega au piano (qui remplaçait la talentueuse Renée Rosnes), le contrebassiste de 84 ans masqué comme ses compagnons, commence par une accolade chaleureuse à chacun avant de célébrer, car c’est bien de cela qu’il s’agit, un retour à la vie presque normale de ses grandes tournées et il nous fait part de son émotion à ces retrouvailles. S’ensuit un concert presque d’une seule tenue, les compositions et standards s’enchaînant en laissant chacun également jouer seul. My Funny Valentine, You and the Night and the Music font ainsi écho au concert de la veille. Comme le dit lui-même Ron Carter, personne ne sait à l’avance ce qui va se passer avec le Foursight Quartet ! D’où cette impression formidable malgré les thèmes connus, d’assister à un moment unique qui force l’admiration. Et la salle comble fut comblée et remercia le quartet en un long standing ovation ! Il fallait voir à la fin du concert la ruée des spectateurs sur les disques et les cinq vinyls numérotés avec une séance de signatures digne de la grande star qu’est Ron Carter, lui qui a inspiré tant de jeunes contrebassistes.
En sortant un peu abasourdis d’avoir assisté à cette grand-messe, la fête se poursuivait en extérieur sur le parvis de l’Alpilium avec un grand bal tenu par The Dealers of Swing dans une transition difficile pour certains voulant garder en tête le dernier concert. Il restait le dimanche pour un déjeuner concert de clôture dans un restaurant de Saint Rémy sans oublier la visite à l’hôtel Gounod de la très belle et émouvante exposition-photo en hommage à Didier Lockwood à travers vingt-deux superbes photographies prises par vingt-deux photographes différents. Merci à toute l’équipe qui m’a accueillie si gentiment !
Florence Ducommun, texte et photos